8 févr. 2010

Le génie créé par le Messager

Par Fethullah Gülen

Il est difficile pour nous de comprendre parfaitement le Prophète Mohammed. Parce que nous avons tendance à compartimenter l'univers, la vie, et même l'humanité elle-même, nous n'avons pas de vision unitaire. Or le Prophète Mohammed réunissait en sa personne à la fois l'intelligence d'un philosophe, la bravoure d'un commandant, le génie d'un homme de science, la prudence d'un sage, la perspicacité d'un homme d'Etat, le talent administratif, la profondeur spirituelle d'un maître soufi et le savoir d'un grand savant.

Les philosophes produisent des élèves, pas des adeptes; les leaders sociaux et révolutionnaires font des patriotes, pas des gens complets; les maîtres soufis font des «seigneurs de soumission», pas des intellectuels ou des combattants actifs. Or chez le Prophète Mohammed nous trouvons les caractéristiques d'un philosophe, d'un leader révolutionnaire, d'un guerrier, d'un homme d'Etat et d'un maître soufi. La sienne est une école de la pensée, de l'intelligence, de la révolution, de la soumission et de la discipline, de la bonté, de la beauté, de l'extase et de l'action.

Le Prophète Mohammed transforma des Arabes du désert brutaux, ignorants, sauvages et obstinés en une communauté d'adeptes sincèrement dévoués à une cause sublime, une société de douceur et de compassion, une assemblée de sainteté, et une légion d'intellectuels et de savants. Nous ne pouvons voir nulle part ailleurs une telle ferveur et un tel zèle alliés à la douceur, la gentillesse, la sincérité et la compassion. Cette caractéristique est propre à la communauté musulmane et a été manifeste depuis ses premiers jours.

Le «Jardin» de Mohammed

L'islam - l'école du Prophète Mohammed - a été un jardin riche de toutes sortes de fleurs. Pareil à une fontaine d'eau, Dieu en a fait jaillir des êtres majestueux tels qu'Abou Bakr, Omar, Othman, Ali, Omar ibn Abd al-Aziz, Mahdi al-Abbasi, Harun ar-Rashid, Alp Arslan, Mehmed le Conquérant, Selim et Sulayman. Ils étaient non seulement des hommes d'Etat du plus haut calibre et des commandants invincibles, mais aussi des hommes d'une profonde spiritualité, d'un grand savoir, dotés de talents d'orateur et de littérature.

L'atmosphère pure et bénie du Messager produisit d'invincibles généraux. Parmi la première génération l'on peut voir des génies militaires tels que Khalid, Sa'd ibn Abi Waqqas, Abou Ubayda, Shurahbil ibn Hasana et A'la al-Khadhrami. Ils furent succédés par de brillants généraux comme Tariq ibn Ziyad et Uqba ibn Nafi, qui tous deux alliaient le génie militaire à la tendresse humaine et la conviction et la dévotion religieuses.

Quand Uqba, le conquérant de l'Afrique du Nord, atteignit l'océan Atlantique, à plus de 3000 kilomètres de l'Arabie, il s'exclama: «Et maintenant, Dieu! N'eût été cette mer qui s'étend devant moi, j'aurais transmis Ton Nom, la source de lumière, jusqu'aux coins les plus reculés de la planète!» Difficile d'imaginer Alexandre le 'Grand' avoir de telles pensées quand il se lança vers la conquête de la Perse. Mais en tant que conquérants, les deux hommes accomplirent des exploits comparables.

L'idéalisme de Uqba et sa «capacité» eu égard à la Volonté Divine allaient être transmutés en une action irrésistible dans ce monde. L'empire d'Alexandre s'effondra après sa mort; les terres que Uqba avaient conquises maintiennent à ce jour l'islam comme leur principale vision du monde, leur credo et leur style de vie, et cela quatorze siècles plus tard, en dépit des tentatives faites pour changer cette réalité.

Tariq fut un victorieux commandant, pas seulement quand il vainquit une armée de 90 000 Espagnols avec une poignée d'hommes vaillants et prêts à tout sacrifice, mais aussi quand il se tint debout devant le trésor du roi et se dit: «Prends garde Tariq! Pas plus tard qu'hier tu n'étais encore qu'un esclave. Aujourd'hui, tu es un commandant victorieux. Et demain tu seras sous la terre.»

Yavuz Selim, un Sultan ottoman qui considérait que le monde était trop étroit pour deux dirigeants, fut réellement victorieux quand il couronna quelques rois et en détrôna d'autres, et aussi quand il entra en silence à İstanbul à l'heure du coucher, après avoir conquis la Syrie et l'Egypte, afin d'éviter l'accueil enthousiaste du peuple. Il fut aussi victorieux quand il ordonna que la robe tachée de boue par le cheval de son maître-enseignant fût placée sur son cercueil en raison de son caractère sacré - elle avait été tachée de boue par le cheval d'un savant.

Durant les conquêtes rapides qui suivirent le décès du Prophète, beaucoup de captifs étaient distribués parmi les familles musulmanes. Ces esclaves émancipés devinrent finalement de grands savants religieux: Hasan al-Basri (Basra); Ata ibn Rabah, Mujahid, Sa'id ibn Jubayr, et Sulayman ibn Yassar (La Mecque); Zayd ibn Aslam, Muhammad ibn al-Munkadir, et Nafi ibn Abi Nujayh (Médine); Alqama ibn Qays an-Nakha'i, Aswad ibn Yazid, Hammad, et Abou Hanifa Nu'man ibn Thabit (Koufa); Tawus and ibn Munabbih (Yémen); Ata ibn Abd Allah al-Khorasani (Khorasan); et Maqhul (Damas). Ils s'épanouirent tous comme des fleurs parfumées dans le jardin de Mohammed. Ils établirent le code légal islamique et élevèrent des milliers de juristes, qui écrivirent et compilèrent des recueils que l'on estime toujours comme des références légales.

L'un de ces juristes, Imam Abou Hanifa, fonda l'école juridique Hanéfite, qui compte aujourd'hui des centaines de millions d'adeptes. Il forma de grands savants tels que Imam Abou Youssouf, Imam Zufar, et Imam Muhammad, Hasan ash-Shaybani, qui fut le maître-enseignant d'Imam Muhammad Idris ash-Shafi'i. Les notes d'Abou Hanifa dictées à Imam ash-Shaybani furent expliquées des siècles plus tard par Imam Sarakhsi («le soleil des imams») dans Al-Mabsut, un ouvrage en trente volumes.

Imam Shafi'i, qui établit les principes de méthodologie de la loi islamique, est considéré comme un réformateur des sciences religieuses. Pourtant, quand ses élèves dirent à Imam Sarakhsi que Imam Shafi'i avait mémorisé 300 fascicules de Traditions Prophétiques (hadiths), ce dernier répondit modestement: «Il avait la zakat (un quarantième) des hadiths que j'ai mémorisés». Imam Shafi'i, Abou Hanifa, Imam Malik, ou encore Ahmad ibn Hanbal, et beaucoup d'autres, furent formés dans l'école du Prophète Mohammed.

Aussi y a-t-il des exégètes coraniques tels que Ibn Jarir at-Tabari, Fakhr ad-Din ar-Razi, Ibn Kathir, Imam Suyuti, Allama Hamdi Yazir et Sayyid Qutb. En outre, il y a eu de célèbres rapporteurs de hadiths comme Imam Boukhari, Mouslim, Tirmidhi, Abou Dawoud, Ibn Maja, Nasa'i, Ibn Hanbal, Bayhaqi, Darimi, Daraqutni, Sayf ad-Din al-Iraqi, Ibn Hajar al-Asqalani et beaucoup d'autres. Tous sont des étoiles toujours scintillantes dans le ciel lumineux des sciences islamiques. Tous reçurent leur lumière du Prophète Mohammed.

Selon l'islam, Dieu créa l'être humain sous la meilleure forme, comme étant le théâtre le plus universel et le plus complet des Noms et des Attributs Divins. Mais les gens, à cause de leur insouciance, peuvent tomber aux niveaux les plus bas. Le soufisme, dimension intérieure de l'islam, conduit les gens à la perfection ou leur permet de réacquérir leur état angélique originel. L'islam a engendré d'innombrables saints. Comme il n'a jamais séparé notre quête ou gnose métaphysique de l'étude de la nature, beaucoup de soufis pratiquants furent aussi des hommes de science. De grands saints comme Abd al-Qadir al-Jilani, Shah Naqshband, Ma'ruf al-Karkhi, Hassan Shazili, Ahmad Badawi, Shaykh al-Harrani, Ja'far al-Sadiq, Junayd al-Baghdadi, Bayazid al-Bistami, Muhy ad-Din al-Arabi, et Mawlana Jalal ad-Din ar-Rumi ont illuminé la voie de la vérité et appris à beaucoup d'autres personnes à purifier leur ego.

Etant des incarnations de la sincérité, de l'amour divin et des intentions pures, les maîtres soufis devinrent la force motrice de la source de pouvoir derrière les conquêtes islamiques et la conséquente islamisation de ces terres. Des figures comme Imam Ghazali, Imam Rabbani et Bediuzzaman Said Nursi sont des réformateurs du plus haut degré, et alliaient en eux-mêmes la lumière des sages, la connaissance des savants religieux et la spiritualité des grands saints.

L'islam est la voie du juste milieu. Sa hiérarchie détaillée des connaissances est intégrée par le principe de l'Unité Divine. Il y a des sciences juridiques, sociales, théologiques et métaphysiques qui dérivent leurs principes du Coran. Avec le temps, les musulmans développèrent des sciences philosophiques, naturelles et mathématiques complexes, chacune ayant sa source dans l'un des Beaux Noms de Dieu (Asmâ-ul-Husna). Par exemple, la médecine dépend du Nom le Tout-Guérisseur; la géométrie et l'ingénierie reposent sur les Noms le Tout-Juste et le Tout-Déterminant, et le Tout-Formateur et le Tout-Harmonisant; la philosophie reflète le Nom le Tout-Sage.

Chaque niveau de connaissance voit la nature sous un éclairage particulier. Les juristes et les théologiens la voient comme le cadre de l'action humaine; les philosophes et les scientifiques la voient comme un domaine à analyser et à comprendre; et les métaphysiciens la considèrent comme l'objet de contemplation et le miroir reflétant les réalités suprasensibles. L'Auteur de la nature a inscrit Sa Sagesse sur chaque feuille et chaque pierre, sur chaque atome et chaque particule, et a créé le monde de la nature d'une telle manière que chaque phénomène est un signe chantant la gloire de Son Unicité.

L'islam a maintenu une connexion intime entre les études islamiques et scientifiques. Ainsi, l'éducation traditionnelle des hommes de science musulmans, surtout durant les premiers siècles, comprenait la plupart des sciences contemporaines. Plus tard dans leurs vies, l'intérêt et le talent de chacun d'eux allaient en faire un expert spécialisé dans une ou plusieurs sciences.

Les universités, les bibliothèques, les observatoires et les autres institutions scientifiques jouèrent un rôle majeur dans la continuation de la vitalité de la science islamique. Ces lieux, ainsi que les étudiants qui faisaient des centaines de milliers de kilomètres pour étudier auprès de savants reconnus, assurèrent que le recueil intégral des connaissances fût gardé intact et transmis d'un endroit à l'autre et d'une génération à l'autre. Ce savoir ne resta pas statique; loin de là, il continua à s'élargir et à s'enrichir. Aujourd'hui, il y a des centaines de milliers de manuscrits islamiques (principalement en arabe) dans les bibliothèques du monde entier, dont un grand nombre traite de sujets scientifiques.[1]

Par exemple, Abou Youssouf Ya'qub al-Kindi («le Philosophe des Arabes») écrivit, entres autres, sur la philosophie, la minéralogie, la métallurgie, la géologie, la physique et la médecine, et était un physicien accompli. Ibn al-Haytham était un grand mathématicien musulman et, sans aucun doute, le plus grand physicien. Nous connaissons les noms de plus de cent de ses ouvrages. Quelque dix-neuf d'entre eux, traitant des mathématiques, de l'astronomie et de la physique, ont été étudiés par des savants modernes. Son travail influença profondément les savants des siècles suivants, à la fois dans le monde musulman et en Occident, où il était connu sous le nom d'Alhazen. L'un de ses livres sur l'optique fut traduit en latin en 1572.

Abou ar-Rayhan al-Biruni était l'un des plus grands savants de l'islam médiéval, et certainement le plus original et le plus profond. Il était également versé dans les mathématiques, l'astronomie, les sciences naturelles et physiques, et se distingua aussi en tant que géographe et historien, chronologiste et linguiste, et en tant qu'observateur impartial des coutumes et des credos. On se souvient encore aujourd'hui des figures telles que al-Khawarizmi (mathématiques), Ibn Shati'i (astronomie), al-Khazini (physiques), Jabir ibn Hayyan (médecine). L'Andalousie (l'Espagne musulmane) était le principal centre à partir duquel l'Occident acquit le savoir et l'illumination des siècles.

L'islam fonda une civilisation des plus brillantes. Cela ne devrait pas être considéré surprenant, car le Coran commence avec l'injonction: Lis, au nom de ton Seigneur qui crée. (96:1) Le Coran enjoignit aux gens de lire alors qu'il n'y avait pas grand chose à lire et que la majorité de la population était illettrée. Ce que nous comprenons de ce qui semble d'abord être paradoxal est que l'humanité doit «lire» l'univers comme le «Livre de la Création».

Son équivalent est le Coran, un livre de lettres et de mots. Il nous faut observer l'univers, percevoir sa signification et son contenu, et à travers ces activités gagner une plus profonde perception de la beauté et de la splendeur du système du Créateur et de l'infinitude de Sa Puissance. Ainsi sommes nous obligés de nous approfondir dans l'étude des multiples sens de l'univers, découvrir les lois de la nature, et établir un monde dans lequel la science et la foi se complémentent. Tout cela nous permettra d'atteindre le vrai bonheur dans les deux mondes.

Obéissant aux injonctions coraniques et à l'exemple du Prophète, les musulmans étudièrent le Livre de la Révélation Divine (le Coran) et le Livre de la Création (l'univers), et finirent par ériger une grande civilisation. Des savants de toute l'Europe profitèrent des centres d'éducation supérieure situés à Damas, à Boukhara, à Bagdad, au Caire, à Fez, à Qairwan, à Zeituna, à Cordoue, en Sicile, à Ispahan, à Delhi et dans d'autres grandes villes islamiques. Les historiens comparent le monde musulman de la période médiévale - obscure pour l'Europe, mais dorée et toute de lumières pour les musulmans - à une ruche. Les rues étaient pleines d'étudiants, d'hommes de science et de savants voyageant d'un centre d'éducation à un autre.

Pendant les cinq premiers siècles de son existence, le royaume de l'islam vécut une grande ère de progrès et de civilisation. Parsemé de splendides villes, de gracieuses mosquées et d'universités, l'Orient musulman offrait un contraste marquant avec l'Occident chrétien qui se noyait dans les ténèbres de l'obscurantisme. Même après les terribles invasions mongoles et les croisades du XIIIe siècle et d'après, il resta énergique et bien en avance par rapport à l'Occident.

Bien que l'islam régnât sur les deux tiers du monde civilisé connu pendant au moins onze siècles, la paresse et la négligence de ce qui se passait au-delà de ses frontières entraînèrent sa décadence. Toutefois, il faut souligner clairement que ce déclin concerne seulement la civilisation islamique - pas l'islam. La supériorité et les victoires militaires, qui continuèrent au XVIIIe siècle, encouragèrent les musulmans à se reposer sur leurs lauriers et à négliger de faire des recherches scientifiques plus poussées. Ils se laissèrent aller à vivre leurs propres vies, et récitaient le Coran sans étudier ses significations plus profondes. Pendant ce temps, l'Europe faisait de grands progrès dans des sciences qu'ils avaient empruntées aux musulmans.

Ce que nous appelons «sciences» sont en réalité les diverses langues du Livre Divin de la Création (un autre aspect de l'islam). Ceux qui ignorent ce livre sont voués à l'échec dans ce monde. Quand les musulmans commencèrent à ne plus y prêter attention, ce n'était plus qu'une question de temps avant qu'ils ne fussent dominés par quelque force extérieure. Dans notre cas, la force extérieure était l'Europe. Les attaques incessantes des puissances européennes et le colonialisme contribuèrent beaucoup à ce résultat.

Chaque civilisation a ses propres caractéristiques qui la distinguent des autres. La civilisation moderne actuelle, bien qu'ayant fait de grandes contributions au développement de l'humanité dans les domaines des sciences et de la technologie, principalement matérialiste, est très loin de satisfaire les besoins perpétuels de l'humanité. C'est à cause de cela que selon beaucoup de sociologues comme Oswald Spengler, elle ne saurait durer longtemps. Spengler a prédit son déclin du fait que cette civilisation va à l'encontre de la nature et des valeurs humaines. Le monde éclairé du futur sera construit sur la base solide de l'alliance des sciences avec la foi, la spiritualité et la moralité, et il attachera aussi l'importance due aux valeurs et aux droits humains fondamentaux. L'islam fera la plus grande contribution à ce monde-là.

[1] George Sarton, dans sa monumentale Introduction to the History of Science, divisa son ouvrage en chapitres chronologiques, intitulant chaque chapitre par le scientifique le plus éminent de cette période. Du milieu du IIe siècle AH (VIIIe siècle de l'ère chrétienne) au milieu du Ve siècle AH (XIe siècle de l'ère chrétienne), chaque tranche de 50 ans porte le nom d'un scientifique musulman. Ainsi nous avons "L'époque de al-Khawarizmi", "L'époque de al-Biruni", etc. Ces chapitres contiennent aussi les noms de beaucoup d'autres hommes de science musulmans importans et leurs oeuvres.

Source: fr.fgulen.com

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