L'islam et le savoir

Tout au long de l’histoire, la passion prédominante des hommes était celle de posséder les biens matériels et de gouverner. Mais pendant l’age d’or de la civilisation islamique (9ème et 10ème siècle), une nouvelle passion est apparu et s’est propagée telle une course automobile : la passion des livres. Le niveau économique et social ne se mesurait plus par la fortune et le pouvoir qu’on détient mais en fonction des livres qu’on possède. Les bibliothèques sortaient de la terre comme des champignons. On comptait au Caire une centaine de bibliothèques contenant pas moins de 2 millions de volumes.
Cette passion fut partagée par toutes les classes sociales.
D’abord les hommes au pouvoir étaient parmi les plus fous des livres : le prince fatimide Al-Assis possédait six millions de volumes. Un certain vizir ne partait jamais en voyage sans emmener avec lui trente charges de chameaux uniquement constituées de livres.
Alors qu’on déposséda généralement le vaincu de ses richesses matérielles et de ses armes, les califes arabes de l’époque se sont intéressés plutôt aux richesses et aux armes intellectuelles : Harun al-Rachid, après la conquête d’Ankara n’exigea rien de plus que la livraison de tous les manuscrits grecs anciens.
Les plus passionnés étaient sans doute les intellectuels qui ont bien profité de ces richesses et de la multiplication des foyers scientifiques qui a crée une réelle émulation entre les différents groupes de savants et développant entre eux des liens multiples (échanges de lettres et de livres, visites, coopération autour d’un projet). L’époque a connu par conséquent l’apparition d’une génération de scientifiques polyvalents qu’on qualifierait d’encyclopédistes tel Ibn Sina, Al Kindi et Ibn Hazm, Abou Bakr al razi, al Tabari, Al Farabi, Jâbir Ibn Hayyan …
On peut affirmer d’après ce qui a été rapporté (et qu’on a du mal à imaginer) que le moins chanceux parmi aurait lu des milliers de livres. Par exemple, le fameux médecin de Kairouan Ibn Al Jazar se vit dans l’obligation de refuser l’offre du sultan de Boukhara de venir à sa cour parce qu’il a fallu 400 chameaux pour transporter l’ensemble de sa bibliothèque !
Les amateurs de livres ne constituaient pas une petite élite car on en trouva parmi les gens de toutes les classes. Tout homme instruit qu’il soit commerçant ou charbonnier, Cadi ou Muezzin fréquentait les librairies. Sigride Hunke(1) rapporte que la bibliothèque moyenne d’un particulier contient plus d’ouvrages à elle seule que toutes les bibliothèques de l’occident réunies !
On peut s’interroger maintenant sur la source de cette passion pour un peuple qui n’avait pas à l’époque d’héritage scientifique et culturel énorme par rapport à celui des romains, des perses et des grecs…

La tradition islamique insiste sur la recherche de la connaissance, un mot qui revient à plus de 800 reprises dans le Coran. A cela s’ajoute une somme importante de références faites par le Coran aux phénomènes célestes et à la question de la création de l’univers.
Toutes ces références traduisent clairement une formule simple : « Plus tu sais, mieux tu crois ».
Cependant ceci ne semble pas expliquer directement la passion des livres chez les musulmans de l’époque. En revanche la raison idéologique la plus profonde de cette passion est me semble-t-il traduite par ce hadith du prophète sur lui bénédiction et Salut: « Nul d’entre vous n’atteindra les hauts degrés de la foi que si sa passion soit conforme à mon message ».
لا يؤمن احدكم حتى يكون هواه تبعا لما جئت به
 
Ce hadith traduit l’aspect « civilisateur » du message de l’Islam capable de transformer les passions des hommes en forces motrices du développement de la cité…
Etant donné que la science est parmi les bases du message de l’Islam, on peut dégager d’après ce hadith une nouvelle formule : « plus tu crois, plus tu aimes la science ».
En reliant cette formule avec la formule précédente (« Plus tu sais, mieux tu crois »), on peut comprendre le cheminement intellectuel (et spirituel) des musulmans de l’époque:

SAVOIR —->AUGMENTER SA FOI —-> AIMER LE SAVOIR —->SAVOIR

En outre, d’autres raisons ont bien contribué à cette passion :
* La langue arabe qui s’est forgée et qui s’est imposée comme un instrument de communication internationale : ce qui a facilité l’échange intellectuel et la transmission du savoir;
*Une société multiculturelle et de droits : ce qui a permis aux non musulmans et aux non arabes de contribuer à cette richesse intellectuelle surtout par la traduction des ouvrages perses, grecs et latins.
* Une volonté politique : qui s’est manifesté par l’encouragement des savants et des traducteurs et par la création des bibliothèques et des foyers scientifiques.
En conclusion, on pourrait estimer que les sources de la passion des livres chez les arabes du Xème siècle sont nombreuses et que leur étude est très importante non pas seulement pour la valorisation de notre patrimoine mais aussi car elle nous permet de nous rendre compte des causes profondes de la paresse intellectuelle qui nous envahit depuis quelques siècles.