« Ma décision est prise. Je rentre définitivement au Maroc en 2011. » Mohamed, ingénieur de 25 ans, témoigne.
Depuis près d'un an (avec le lancement du débat sur l'identité nationale), plusieurs membres du gouvernement et de la majorité ont mulitpliés les amalgames, les propos racistes à peines voilés.
En tant qu'immigré marocain, je vis toutes ces déclarations et lois sécuritaires qui visent particulièrement la communauté musulmane (et depuis quelque temps les gens du voyage et les Roms) comme une profonde humiliation. C'est pour ça que je rentre chez moi… Et je ne suis pas le seul.
Je suis ingénieur, 25 ans, gagnant 2 700 euros net par mois, je n'ai jamais été arrêté ni même contrôlé de ma vie, je suis athée (agnostique pour être précis), j'adore le saucisson, la bonne bière, le rugby et passe mes étés à faire la tournée des festivals. Je ne fais donc pas partie de la catégorie de personnes visée par les attaques populistes de l'UMP.
Toutefois, deux phénomènes ont été, à mes yeux, clairement aggravés par ces propos décomplexés.
- Le premier est que les gens (Français) ne comprennent pas pourquoi c'est blessant pour moi d'entendre des blagues racistes.
Evidemment, j'ai toujours eu droit aux blagues racistes depuis mon arrivée en France. J'en riais, mais je me suis cependant toujours gardé le droit de remettre les personnes à leur place quand leurs blagues sont blessantes et/ou pas drôles.
Depuis un an, je ne supporte plus les blagues racistes. Le fait qu'un ministre de l'Intérieur fasse une de ces blagues montre à quel point les clichés sont profondément implantés dans l'imaginaire français. Et le fait que l'on me rapporte à un cliché m'est devenu insupportable.
- Le second point est le regard de « la petite vieille » dans la rue. Son regard est plus vif. Son sac est plus serré entre ses bras. Ses jambes bougent plus vite quand je passe trop près.
Et, personnellement, je comprends cette dame ou ce monsieur (parce qu'un homme peut très bien correspondre au concept de « la petite vieille ») qui, en ouvrant son journal ou en allumant sa télé, entend que la délinquance est liée à l'immigration, que le jeune musulman n'a pas de travail, que l'islam est incompatible avec les valeurs de la France… Moi-même j'ai peur d'y croire.
Resté en France après les études
Je fais partie de la communauté des étudiants étrangers restés en France pour travailler après la fin de leurs études. Cette communauté est loin d'être négligeable en écoles d'ingénieurs. Dans la mienne (une des grandes écoles françaises), la proportion d'étudiants marocains (qui n'ont pas la nationalité française) dépasse les 15%. Je retrouve une proportion de 10% dans le milieu du travail.
Mes connaissances rapportent des proportions équivalentes (entre 10% et 15%) parmi leurs collègues dans les domaines des télécoms, de l'informatique ou encore dans la finance. Le Maroc est ainsi un gros fournisseur d'ingénieurs à la France (je n'ai néanmoins pas connaissance de chiffres précis).
Cependant, ces personnes repartent de plus en plus souvent dans leur pays d'origine. En effet, le gouvernement marocain investit massivement dans des politiques encourageant le « nearshoring » [délocaliser à proximité, ndlr], notamment dans le domaine des nouvelles technologies.
Ces politiques impliquent un appel d'air pour les ingénieurs. Le marché du travail des ingénieurs est d'ailleurs très demandeur. Des anciens camarades d'école ont pu obtenir des salaires approchant les 20 000 dirhams net par mois (dix fois le smic ! ) à la sortie de l'école d'ingénieurs.
La dynamique du pays (la situation est à étendre à d'autres pays) est telle que la croissance est de 5%. Ce chiffre est à comparer avec la situation économique actuelle.
Agnostique et mal à l'aise
Je suis parti du Maroc parce que la liberté de culte n'y est pas respectée… Mais elle ne l'est pas plus en France. J'ai quitté le Maroc pour plusieurs raisons. La première est qu'à mon adolescence, je me suis rendu compte que j'étais agnostique, ce qui est profondément incompatible avec la pratique de l'islam de ma famille et de la société marocaine dans son ensemble.
La deuxième est le vide culturel et artistique de la société marocaine. Je rêvais, en effet, de pouvoir jouer de la musique, assister à des concerts, aller au cinéma, assister à des expositions et visiter des musées.
Ma ville natale (Agadir) en manquait terriblement. Il n y avait qu'une salle de cinéma insalubre qui ne passe que des blockbusters âgés de quelques années. Il n y avait ni musée ni expositions. Et le seul style de musique est la musique populaire ou la musique électronique qui passe en boîte (et je n'aime ni l'un ni l'autre).
Là encore, les choses changent. La libéralisation des mœurs est en cours, les jupes raccourcissent, les bars sont bondés, les festivals se créent continuellement, et des groupes de rock, de rap ou de reggae gagnent en notoriété. On est évidemment loin de la richesse et de la diversité de la culture française mais la culture marocaine est en pleine évolution. Les Marocains sont de plus en plus ouvertement athées et le modèle familial leur donne plus d'indépendance.
« Ma tête et mon prénom feront toujours de moi un musulman »
D'un autre côté, en France, je suis considéré comme musulman. Mon entourage ne comprend pas que je puisse être agnostique avec mon prénom (Mohamed). On ne comprend pas pourquoi je ne fais pas le ramadan. En deux jours, j'ai dû entendre une dizaine de fois, sur le ton de la blague, que je « finirai en enfer ».
Ma (non) confession n'est pas acceptée, parce que mon origine marocaine, ma tête et mon prénom feront toujours de moi un musulman en France. C'est pour cela que je me sens visé par toutes les attaques directes ou indirectes contre l'islam en France.
Ma décision est prise. Je rentre définitivement au Maroc en 2011 puisque les raisons de mon départ du Maroc n'ont plus lieu d'être et les raisons de mon bien-être en France s'estompent.
De plus, je pense que je ne suis pas le seul à avoir pris cette décision. Mais cela reste à quantifier, parce qu'un Arabe qui rentre chez lui, ça va, c'est quand il y en a beaucoup qui rentrent chez eux que ça ne va plus.
Photo : un buste noir et blanc de Marianne, au lycée professionnel Brassens en Seine-Saint-Denis (Meyer/Tendance Floue)
Source: www.rue89.com
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