15 avr. 2011

Pourquoi le voile pose-t-il problème?

Au-delà des clichés et sans apologie aucune, peut-on envisager le voile islamique sous un autre angle? Entretien avec Silvia Naef, professeur à l’unité d’Arabe de l’Université de Genève, spécialiste de la culture des mondes arabes et musulmans, qui effectue actuellement des recherches sur le voile et ses symboliques.

© Ed Yourdon /  flickr


Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre recherche actuelle sur le voile?

Je n’ai pas voulu m’intéresser au problème du voile du côté musulman, son obligation par le Coran, qui est d’ailleurs très discutable. J’ai plutôt voulu me pencher, et c’est une réflexion, toujours en cours, sur cette fixation occidentale par rapport aux femmes musulmanes et à leur voile. C’est au XIXe siècle que l’ont peut trouver l’origine de cette fascination. Cela se trouve d’abord dans des récits de femmes occidentales qui voyagent en Orient, et qui plaignent les musulmanes obligées, selon elles, de porter un voile.

C’est évidemment tout à fait paradoxal quand on pense aux conditions de la femme en Europe à cette époque-là. De manière plus générale, dans l’optique 'Edward Saïd' d’un Orient créé par l’Occident, c’est tout l’orientalisme du XIXe siècle qui va s’intéresser à ces femmes voilées, cachées, et dont on va faire tantôt un symbole d’oppression, tantôt un objet de tous les fantasmes. Mis à part ce côté plutôt artistique, il existe une autre piste, anthropologique cette fois, qui doit être explorée: c’est celle de la domination. Car, ne l’oublions pas, le XIXe siècle est l’époque de toutes les conquêtes coloniales. Et qui dit conquête dit soumission.

De ce fait, les hommes, cela se voit dans toutes les guerres depuis l’enlèvement des Sabines à Rome, se servent des femmes pour humilier l’adversaire en se les appropriant brutalement. C’est un acte symbolique très fort. Or, on voit qu’au XIXe siècle, l’Orient musulman, justement, refuse de donner ses femmes. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien si, plus tard, les Français obligeront les femmes à retirer leur foulard en Algérie, quelque soit par ailleurs les motifs sécuritaires invoqués. C’est parce que cet Orient qui a pourtant été conquis, refuse en effet de donner symboliquement ses femmes, et cela dérange fortement les Occidentaux.

Le fantasme de la femme dévoilée

C’est aussi pour cela que le fantasme de la femme dévoilée (visibles dans les tableaux d’Ingres par exemple) dans des bains turcs est si présent. C’est une manière de contourner ce refus. Ce problème symbolique est très important. Grâce au voile, les musulmans soustraient les femmes à la vue des occupants, et diminuent ainsi leur pouvoir de domination. C’est une sorte d’acte de résistance. Aujourd’hui, on constate que le voile islamique est plus que jamais une fixation de la part des Occidentaux.

Il y a selon moi différents types de questions et différentes manières de les aborder. Tout d’abord, très simplement, il existe des citoyens qui refusent la présence musulmane en Europe, et pour qui le port du voile constitue une provocation, une agression, et un acte de revendication insupportable. Il existe également toute une génération de féministes, qui ont dû se battre contre une multitude d’oppressions, dont certaines provenant du christianisme, et pour qui le voile islamique renvoie à ces combats si chèrement gagnés.

On voit également beaucoup de partis ou de groupes, notamment d’extrême-droite, pour qui le droit des femmes n’est absolument pas une priorité dans leur propre pays, mais qui sont à la tête du combat contre le voile sous prétexte de l’égalité homme/femme. Cette manière de se concentrer sur le voile des musulmanes sans s’intéresser aux problèmes des femmes de son pays se retrouve d’ailleurs déjà au XIXème siècle, et perdure largement aujourd’hui.

Le désir de posséder

On se concentre sur ces "pauvres femmes oppressées", forcées de se couvrir le visage et le corps, mais on oublie de se pencher sur toutes les inégalités qui subsistent encore aujourd’hui en Europe par exemple. Je pense enfin que le désir de posséder, symboliquement ou non, les femmes de pays plus pauvres, plus faibles, existe toujours aujourd’hui, et que les frustrations qui résultent de ce voile qui cache et soustrait les femmes des pays orientaux expliquent en partie cette focalisation sur le voile.

Enfin, il est important de le souligner, pour qui s’intéresse un tant soit peu à la condition des femmes dans les pays musulmans, le voile n’est pas un problème prioritaire. Cette obsession de vouloir faire retirer le voile aux femmes est d’ailleurs très souvent mal comprise par les principales intéressées, pour qui le foulard, hijab, niqab etc., constitue d’abord un acte de pudeur. C’est un peu comme si l’on demandait du jour au lendemain aux femmes occidentales de se balader dans la rue les seins nus.

La pudeur se conçoit de manières différentes selon les cultures et les sociétés, et le voile islamique est ancré depuis des siècles comme faisant partie de la légitime pudeur des femmes dans le monde arabo-musulman. Il semble donc intéressant de se pencher d’abord sur nos propres histoires, nos propres interprétations, pour comprendre un peu mieux le regard que l’on porte sur l’autre, en l’occurrence sur la femme musulmane voilée.


Source : www.lemondedesreligions.fr

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