10 oct. 2010

Les extrémistes s'emparent des Pays-Bas?

Par Gwynne Dyer

Si Gert Wilders était un petit employé de bureau raciste vomissant des insultes dans un pub, vous resteriez loin de lui. Il a qualifié le voile islamique de «chiffon porté sur la tête» qui devrait faire l'objet d'une taxe, car il «pollue» le paysage néerlandais. Il condamne l'islam, le réduisant à «l'idéologie malsaine d'Allah et de Mahomet» et le Coran, qu'il assimile au «Mein Kampf d'une religion qui cherche à éliminer les autres». Ce n'est qu'un pauvre cinglé qui a du temps à perdre.
Mais ce n'est pas un cinglé ordinaire. Gert Wilders siège au Parlement néerlandais, et c'est le chef du Parti pour la liberté, qui est arrivé en troisième position aux dernières élections (juin). Une troisième place assez impressionnante, car ce parti d'extrême droite a raflé 24 des 150 sièges! De sorte que les autres partis ne peuvent pas simplement ignorer l'existence de cet homme. Ils devront faire avec lui, même s'il fait de la prison, ce qui est fort possible: son procès pour cinq chefs d'inculpation liés à l'incitation à la haine et la discrimination a débuté le 4 octobre, à Amsterdam.
Au fond, il espère peut-être purger une courte peine de prison. Cela contribuerait à miner un peu plus l'ordre politique néerlandais et ferait de lui un martyr aux yeux de beaucoup de ses citoyens. (Les peines encourues pour incitation à la haine vont jusqu'à un an d'emprisonnement ou 7600 euros d'amende.) Pour autant, il ne perdrait pas son siège au Parlement ou la direction de son parti. Les autres chefs de parti auraient simplement à aller lui rendre visite en prison pour parlementer avec lui.
Gert Wilders s'est d'abord fait connaître au niveau international en 2008 grâce à son film Fitna, qui juxtaposait des images d'attentats-suicides et des versets du Coran. Un outil de propagande qui présentait l'islam comme une force cherchant à tout prix à détruire l'Occident. À la suite de la diffusion du film, son parti a décollé, jusqu'à recueillir 15 % des voix néerlandaises en juin dernier. Dans le système politique néerlandais, cela lui procure des arguments de poids pour négocier.
Là-bas, la scène politique nationale est en effet si fragmentée qu'aucun parti n'a obtenu de majorité absolue dans une élection nationale depuis la Première Guerre mondiale. Tout seul, aucun parti n'est parvenu à recueillir plus de 30 % des suffrages depuis plus de deux décennies. Ce système permet souvent aux petits partis, qui ne défendent souvent qu'une grande idée, d'exercer une grande influence bien au-delà de leur électorat. Cette fois, c'est le Parti pour la liberté de Wilders qui en a profité.
Les deux partis conservateurs traditionnels n'ont totalisé que 52 sièges. Ils ont donc eu besoin des 24 sièges du Parti pour la liberté ne serait-ce que pour atteindre une très courte majorité au Parlement néerlandais. Mais comment ont-ils pu s'asseoir aux côtés d'un homme qui a craché des insultes aussi cruelles et injustifiables à l'égard de ses compatriotes musulmans?
Leur petit différend a été résolu ainsi: les conservateurs ont accepté que le Parti de la liberté vote avec le nouveau gouvernement de coalition, mais n'en fasse pas officiellement partie. Naturellement, il y avait un prix à payer. Le nouveau gouvernement aurait à adopter des lois qui raboteraient les droits des citoyens néerlandais de religion musulmane.
Comme la plupart des extrémistes - religieux ou autres - Wilders est obsédé par la tenue. Si cet accord tient, il faudra purement et simplement interdire la burqa au sein des Pays-Bas. Les policières et autres femmes fonctionnaires ne seront même pas autorisées à porter un simple voile islamique (non intégral). L'immigration en provenance des pays non occidentaux devra être diminuée de moitié, et les lois concernant l'accord de l'asile politique aux réfugiés seront durcies.
Les nouveaux immigrés devront payer de leur propre poche les «cours de citoyenneté» obligatoires prévus par l'État. Et même s'ils obtiennent la nationalité néerlandaise, ils peuvent s'en voir déchus s'ils commettent un quelconque délit dans les cinq ans. Il serait bien plus difficile pour ces nouveaux Néerlandais de faire venir leur conjoint et leurs enfants aux Pays-Bas en vue d'un regroupement familial.
Ces conditions ne donneront pas entière satisfaction à Wilders, qui a déclaré récemment: «J'en ai assez de voir l'islam aux Pays-Bas. Ne laissons pas un seul musulman de plus s'installer ici. J'en ai assez de voir le Coran aux Pays-Bas: interdisons ce livre fasciste.» Mais il s'en contentera, dans un premier temps.
Comment les Pays-Bas, nation autrefois considérée comme un bastion de liberté et de tolérance, en sont-ils arrivés là. Les Néerlandais sont-ils tous devenus fous? Pas du tout.
C'est le fruit d'un accident qui se produit parfois dans certains systèmes politiques qui encouragent la prolifération des petits partis. Le Parti pour la liberté a vu son soutien électoral doubler au scrutin de cette année, en partie parce que plus de gens sont susceptibles d'opter pour un parti protectionniste et xénophobe en temps de crise. Rassurez-vous, le Parti pour la liberté ne représente toujours qu'un sixième du Parlement.
C'est le niveau maximal qu'ont atteint les autres partis anti-immigration et anti-islam des autres pays européens comme la France, la Belgique et le Danemark. En fait, c'est moins que ce que le parti qui précédait celui de Wilders, la Liste Pim Fortuyn, avait obtenu en 2002. Partout, il existe des xénophobes qui tentent de faire croire qu'une minorité de musulmans (6 % de la population néerlandaise) constitue une menace à l'identité et à la sécurité de la nation. Mais, finalement, les xénophobes aussi sont en minorité.
Comme ça, on pourrait avoir l'impression que des cinglés ont pris le contrôle des Pays-Bas. Mais au fond, ce n'est qu'un hasard, une situation qui a peu de chance de se reproduire, rendue possible par un système de représentation proportionnelle. Si Wilders arrive à redéfinir cette problématique en question de liberté d'expression (il tente déjà de le faire) et, surtout, s'il fait de la prison, alors son soutien politique s'étendra peut-être au-delà des limites de l'extrême droite. Mais les Néerlandais ne sont pas un peuple plus malveillant que les autres.

Source: www.capacadie.com

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