25 oct. 2010

A l'école des imams à la Francaise


Le geste est ample, la voix est forte. Ils sont une quarantaine, hommes et femmes, à prendre des notes et à l’écouter. Camper à l’extrémité d’une immense table installée au centre de la bibliothèque de la Grande Mosquée, Djelloul Seddiki donne un cours sur l’histoire de l’islam. Il s’adresse à ses élèves, tantôt en arabe, tantôt en français. Sa mission : former les futurs cadres musulmans de l’Hexagone.

« Ici, on est sûr de produire un bon imam francophone ! Avant, nous n’avions pas cette certitude. La personne qui suit notre programme est imprégnée du Coran, mais aussi de la pensée française et occidentale que maîtrisent rarement les prêcheurs qui viennent de l’étranger », assure celui qui dirige l’institut de théologie al-Ghazâli, installé dans les murs de la Grande Mosquée de Paris. Il se dit convaincu que pour guider au mieux ses fidèles, « un imam en France doit aussi connaître Jean-Paul Sartre et Voltaire ».

« La laïcité, c’est une chance pour les musulmans »

En 2005, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, pose dans un livre qui fait grand bruit (*) la question de la formation des imams, invitant ses « compatriotes musulmans » à s’organiser dans le cadre de la laïcité et « à se montrer capables d’inventer un islam de France, un islam intégré à la culture européenne », en mesure de faire front aux courants les plus extrémistes de cette religion. Un an plus tard, répondant aux vœux du futur président de la République, la Grande Mosquée de Paris met en place un cursus universitaire unique en son genre : 800 heures de cours, réparties sur quatre ans, dédiés à la formation des aumôniers (devant travailler dans les prisons, les hôpitaux et les écoles) et à celle des ministres du culte musulman. Jusqu’alors, les imams qui officient sur le territoire français sont, pour la plupart d’entre eux, des étrangers, méconnaissants, dans des bien des cas, la société française, sa culture, ses principes juridiques, ses mœurs, voire sa langue. « La laïcité, c’est une chance pour les musulmans, c’est un espace où l’on peut respirer », estime le Dr Seddiki, ardent défenseur d’un islam à la française. Selon lui, « il faudrait former 200 imams par an », pour répondre aux besoins des 2.200 lieux de culte et de prières musulmans que compte la France.

Pour inculquer les fondements du droit français à ses élèves et perfectionner leur compréhension de notre culture, la Grande Mosquée travaille avec l’Institut catholique de Paris (surnommé, la « Catho ») qui, lui aussi, participe à cette formation de cadres musulmans souhaitée par les pouvoirs publics. Un clergé « à la catholique » s’indigne encore aujourd’hui certaines organisations et associations musulmanes hostiles à ce projet sacrilège où, selon elles, « les curés enseignent aux imams ». « Nous ne demandons pas à l’Institut catholique de dispenser des cours de religion, mais de donner des cours de philosophie, d’histoire et de sociologie », se défend Djelloul Seddiki. En clair : la « Catho » s’occupe de la formation culturelle, La Mosquée de Paris, quant à elle, de l’enseignement théologique.

« Au départ, je suis venue pour apprendre le Coran et le droit musulman », explique Sonia, 37 ans, étudiante de 2e année à l’institut al-Ghazâli. Française, née en Algérie, mère d’un enfant, elle travaille dans une société qui s’occupe de l’organisation de salons professionnels et souhaite à présent devenir aumônier pénitentiaire. « Je suis sensible au problème des prisons où près de 65 % des détenus sont d’origine musulmane. Je veux aider cette jeunesse égarée, lui transmettre la sagesse de la loi coranique », confie la jeune femme, par ailleurs licenciée en psychologie.

Comment concilie-t-elle le Coran, qui, notamment, autorise la polygamie et le droit français qui, lui, l’interdit ? « Sur le plan légal, nous devons respecter les règles du pays dans lequel nous vivons. Par contre, sur le plan humain, j’observe que dans la société française beaucoup d’hommes ont des maîtresses et font quelquefois des enfants avec elles. Le président Mitterrand lui-même agissait de la sorte. Cela ne l’a pas empêché de devenir chef de l’Etat », relève Sonia, la tête recouverte d’une étoffe de couleur rose. A l’entendre : « Au lieu que les choses se passent dans l’hypocrisie, le Coran légalise, dans des conditions rigoureuses, ce qui en France reste dans l’ombre. La règle dans le droit musulman, c’est que l’on ne doit pas enlever à l’une ce que l’on donne à l’autre. »

Envisage-t-elle de suivre ensuite les cours des professeurs de l’Institut catholique ? « Oui, c’est très intéressant. Je suis musulmane mais je possède aussi l’héritage de Voltaire, de Rousseau, de la Révolution. Je suis française ! », répond, amusée, l’étudiante.

S'intégrer à la société française pour mieux guider les fidèles

« Mon boulot est de former des gens qui puissent être légitimes aux yeux des pouvoirs publics et donc à ceux de l’opinion publique », considère Olivier Bobineau, responsables de l’enseignement à l’Institut catholique de Paris. Il explique que, « beaucoup d’imams ne parlaient pas le français et se retrouvaient en décalage par rapport au pays et, surtout, par rapport aux croyants à qui ils avaient affaire au sein de la communauté musulmane. Le décalage existait aussi par rapport aux autres religions. Un prêtre, un pope, un pasteur, un rabbin, c’est en moyenne six à huit ans de formation universitaire sur le sol français ».

Bref, les ministres du culte musulmans n’étaient pas toujours au niveau de leurs « confrères » chrétiens et juifs. « Notre enseignement est centré sur les valeurs et l’histoire de la République, précise le sociologue. Je donne aussi un cours de rhétorique où je leur apprends à s’exprimer devant un auditoire, un maire, un préfet ou les médias. Je leur apprends aussi à serrer des mains, à s’asseoir, à regarder… »

Mais pourquoi des imams arrivant de l’étranger, échappant à toute forme d’autorité, et qui, le plus souvent, se sont autoproclamés, feraient-ils aujourd’hui le choix d’une formation mise en place par la Grande Mosquée et la « Catho » en concertation avec l’Etat français ? « Parce qu’avoir une légitimité légale est un plus pour ceux qui veulent prêcher, affirme Olivier Bobineau. La légitimité des imams étrangers qui fascinent les jeunes des banlieues par leurs prêches ne dure que quelques mois. Après, quand il s’agit de construire une mosquée, d’organiser un pèlerinage, de gérer les problèmes que posent l’abattage et la distribution de la viande halal, il est nécessaire de fréquenter les institutions françaises et les pouvoirs publics. Si on ne connaît rien aux codes juridiques français, on ne peut rien faire, on repart à l’étranger », conclut le sociologue.

La raison d’être de la formation est donc de permettre aux candidats à « l’imamat » de s’intégrer à la société française pour être en mesure, par la suite, de mieux guider leurs fidèles, de les aider à s’intégrer eux aussi. Qui la finance ? Du côté de la Grande Mosquée, les frais d’inscription sont modiques, 120 € par an. « C’est la Mosquée (financée elle-même à 60 % par l’Etat Algérien, NDLR) qui paie les professeurs », assure Djelloul Seddiki. « En ce qui concerne l’Institut catholique, les cours sont financés par l’Etat (4.500 € par étudiant) », indique pour sa part, Olivier Bobineau.

« D’autres organisations, comme l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), forment des cadres avec leurs fonds propres. Elles ne sont pas estampillées « ministère de l’Intérieur » et attirent de nombreux candidats », reconnaît un étudiant rencontré à la sortie des cours. « C’est vrai que quand on écoute les derniers discours ou les déclarations de Besson et d’Hortefeux sur l’immigration, on peut se poser des questions avant de se décider à franchir la porte de la Grande Mosquée ou celle de l’Institut catholique qui ont passé un accord avec ce gouvernement », juge t-il.

« L’important, c’est de jeter des ponts entre des milieux qui se défient ou se méprisent, tout simplement par ignorance, estime Olivier Bobineau. Aucun théologien n’intervient dans nos cours. Je m’y suis engagé auprès de l’Etat et des représentants musulmans. Tous nos professeurs viennent de l’enseignement public ou du CNRS », précise-t-il, pour bien souligner la différence qui existe entre « sa » formation, « proposée » et financée par les pouvoirs publics, et celles des organisations religieuses comme l’UOIF. « Mon souci, ajoute l’universitaire, c’est qu’au bout de quatre ans nous avons seulement 70 personnes qui ont obtenu notre diplôme universitaire. Il m’en reste encore 3.000 à former. »


Source: www.francesoir.fr

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