4 mai 2010

La diversion par la burqa

Par Chems Eddine CHITOUR

«La véritable mosquée est celle qui est construite au fond de l’âme.»

On se souvient que le débat sur le voile avait, il y a une quinzaine d’années, secoué la classe politique française et le ministre de l’Education de l’époque François Bayrou avait même pris un arrêté interdisant le port du voile à l’école. Bien plus tard, sous le premier septennat de Chirac, une commission présidée par Bernard Stasi devait faire des propositions quant à la place du voile dans la République. Résultat des courses: une loi interdisant à l’école les signes extérieurs. Dans ce même Rapport Stasi, il a été proposé la reconnaissance pour les religions d’un jour férié: l’Aïd el Kebir et le Yom Kippour. Ces propositions passèrent à la trappe.
2009. Le président Sarkozy pointe du doigt la burqa vue comme un signe de domination de l’homme, d’humiliation de la femme. Bref écrit comme rapporté dans l’éditorial du Monde du 27 avril: On l’a déjà souligné, ici même, à plusieurs reprises: le débat sur le port du voile intégral - burqa ou niqab - par des femmes musulmanes est un piège. Un piège ouvert par le président de la République lui-même, le 20 juin 2009. Ce jour-là, devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, Nicolas Sarkozy déclarait: «La burqa ne sera pas la bienvenue sur le territoire de la République»; ce n’est «pas un problème religieux», mais «de liberté et de dignité de la femme».(1)
En sus du dossier burqa, une autre affaire est venue accélérer le processus. L’affaire débute, vendredi 23 avril, quand une jeune femme de 31 ans, résidant à Rezé, près de Nantes (Loire-Atlantique), a organisé une conférence de presse pour contester une contravention de 22 euros, ayant sanctionné, le 2 avril, une conduite automobile, «dans des conditions non aisées», en raison du port d’un voile intégral. Le soir, le ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, alerté par la préfecture, adresse un courrier à Eric Besson, ministre de l’Immigration et de l’Intégration, lui demandant d’examiner les conditions dans lesquelles le conjoint de cette femme, Liès Hebbadj, présent lors de la conférence de presse, pourrait être déchu de sa nationalité française, en raison, notamment, de soupçons de polygamie. Une pratique interdite en France. Le ministre de l’Intérieur reproche plusieurs choses à M.Hebbadj, âgé de 35 ans: d’appartenir à une «mouvance radicale» de l’Islam, le tabligh, de «vivre en situation de polygamie avec quatre femmes dont il aurait eu douze enfants». Chacune de ces femmes, en outre, «énéficierait de l’allocation parent isolé», ce qui constituerait une fraude. Les conditions pour «déchoir» une personne de sa nationalité sont très strictes et régies par l’article 25 du Code civil. En l’occurrence, seul un crime ou un délit tel que l’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou le terrorisme peuvent le permettre.(2)

Le cynisme politique
Pour l’histoire et durant ce même juin 2009, le président Obama s’était interdit de «dicter aux citoyennes comment se vêtir». Au lendemain de la déroute de son camp aux régionales, poursuit le Monde, le chef de l’Etat évoquait, à nouveau, une «loi d’interdiction conforme aux principes généraux de notre droit». Hélas! pour les partisans de l’interdiction générale, le Conseil d’Etat, consulté, a estimé que celle-ci «ne pourrait trouver aucun fondement juridique incontestable». Le Premier ministre, François Fillon, a même prononcé, à cette occasion, une phrase proprement stupéfiante: «On est prêt à prendre des risques juridiques parce que nous pensons que l’enjeu en vaut la chandelle»! Parallèlement, le vendredi 23 juin, une femme portant burqa se voit verbalisée car recouverte d’un niqab, une tenue malaisée, selon le Code de la route. Le 23 avril, Brice Hortefeux demande à son collègue de l’Immigration, Eric Besson, d’étudier une éventuelle déchéance de la nationalité française du conjoint de cette femme. Motif? L’homme serait polygame et, via ses quatre ´´épouses´´ qui touchent l’allocation de parent isolé, fraudeur aux aides sociales. Comme dirait le Premier ministre, «on est prêts à prendre des risques». Y compris celui de voir le piège de cette polémique se refermer sur ses initiateurs. Y compris celui de démontrer au grand jour, et sans précaution aucune, que l’application future de la loi annoncée sera l’occasion inévitable de dérapages incontrôlables. Y compris, quoi qu’en disent en choeur le chef de l’Etat et ses ministres, celui de stigmatiser la communauté musulmane dont la grande majorité recommande de régler le problème par la pédagogie et la persuasion. Y compris, enfin, celui de réveiller le jusqu’-au-boutisme d’une infime minorité de musulmans ou de l’extrême droite. La burqa est un piège. Un piège stupide. Un piège indigne. Si l’on était aussi irréfléchi que M.Hortefeux, on demanderait volontiers sa ´´déchéance ministérielle´´.(1)
Parlant de l’arrogance de Liès Hebbadj, Marie Lemmonier écrit: Ce lundi, keffieh sur la tête, Lies Hebbadj, le compagnon de la conductrice verbalisée pour niqab au volant, accusé de polygamie et de fraude aux allocations familiales par Brice Hortefeux, fanfaronnait devant les caméras. «A ce que je sache, les maîtresses ne sont pas interdites en France, ni par l’Islam.» S’il fallait déchoir de leur identité française tous les hommes qui ont des maîtresses, cela ferait «beaucoup de Français», ironisait-il. (...) Nicolas Sarkozy a tranché pour l’interdiction du niqab dans tout l’espace public, malgré l’avis défavorable du Conseil d’Etat. Cette prise de position radicale et risquée marque un tournant. Un moment qui n’est pas sans rappeler celui du «mouton dans la baignoire» de la campagne présidentielle de 2007. Retour en banlieue, mise en avant des questions sécuritaires et controverses islamiques, le cocktail est resservi à l’identique par un président au plus bas dans les sondages. Surfer sur les peurs des Français (à 70% favorables à l’interdiction du niqab), reconquérir l’électorat d’extrême droite, reprendre la vedette à Jean-François Copé, hyperactif sur la burqa, voilà qui aurait convaincu Sarkozy de surenchérir. Seulement «cette focalisation obsessionnelle crée un climat xénophobe qui ne peut qu’encourager les extrêmes à passer à l’acte», s’inquiète le chercheur Vincent Geisser. L’analyse a trouvé son illustration tragique ce samedi avec le mitraillage de la mosquée d’Istres, criblée d’une trentaine d’impacts, et celui d’une boucherie halal de Marseille, passée à la kalachnikov.(3)
Pour Jacques Julliard, il y a des musulmans modérés qu’il faut conforter, il s’inscrit en faux contre la maladresse de la forme mais est d’accord sur le fond. Ecoutons-le: «Prendre prétexte de la contravention reçue par une femme portant le niqab au volant pour engager des poursuites contre son mari, c’est de l’amalgame. Le soupçonner publiquement de polygamie et de fraude aux allocations familiales avant d’en avoir réuni les preuves, c’est de l’abus de pouvoir. Fixer la peine encourue, quand on est ministre de l’Intérieur et non de la Justice, c’est de la confusion des rôles. Enfin, déclencher une mêlée aussi confuse à la veille du débat sur le voile intégral, c’est du sabotage. On voudrait pousser l’ensemble des musulmans de ce pays dans les bras de leur frange islamiste qu’on ne s’y prendrait pas autrement. A quoi riment ces accusations gigognes, sinon à suggérer que la communauté musulmane toute entière est une communauté délinquante et qu’il suffit de tirer un fil pour que l’écheveau vienne tout entier? Cette politique est absurde; elle est criminelle. Car la grande majorité des musulmans et plus encore des musulmanes de ce pays est monogame; elle est hostile au niqab; il en va de même chez les intellectuels musulmans, qui, comme le rappelle souvent Jean Daniel, nous conjurent de rester fidèles à nos lois et à nos coutumes, et qui s’étonnent de la trouble indulgence de beaucoup d’intellectuels d’origine européenne à l’égard du communautarisme islamiste. Il faut bien comprendre la situation vécue par la grande majorité de nos compatriotes musulmans. Ils veulent s’intégrer à la communauté nationale et beaucoup le sont déjà; mais ils sont soumis, de la part des intégristes, au chantage permanent à la solidarité d’origine, religieuse et même ethnique. Nous devons en faire nos alliés, non des adversaires potentiels. (...) le progrès de la civilisation a toujours impliqué certaines contraintes, un code civil, qui n’a jamais empêché l’épanouissement de l’individu, bien au contraire».(4)
Un bémol cependant dans cette belle unanimité antiburqa: l’aspect «finances».
«Incommensurable, le cynisme politique venu d’en haut n’en finit plus de faire tache d’huile en bas, disloquant en profondeur l’unité sociale, le précieux Graal dont la France se réclame à cor et à cri, et qu’elle désagrège dans une condescendance qui agit comme le pire produit corrosif. Dévastateur racisme anti-musulman, ensemencé par les laboureurs en ordre de marche d’une oligarchie pour qui 2012 vaut bien tous les sillons les plus tortueux et inflammables, détruisant la belle harmonie vallonnée de la douce France, pour dessiner un Hexagone aux contours dangereusement escarpés. Diabolisé, le voile intégral est traqué dans une chasse aux sorcières pathologique, où l’hallali résonne d’un projet de loi non viable, que seules des considérations prosaïquement financières pourraient adoucir...»(5)

Quelle valeur pour l’être humain?
«Que prévoient en effet les experts en communication, version coup de matraque, que sont les Sarkozy, Besson, Hortefeux, Copé et consorts pour la clientèle haut de gamme, et surtout pleine aux as, en provenance du Qatar, des Emirats et de l’Arabie Saoudite, qui ne chemine que vers une seule et unique voie royale: le Faubourg Saint-Honoré? Quelle formule magique serviront-ils à ces touristes providentiels à bichonner, habitués des palaces parisiens à 5000 euros au minimum la semaine, dont près de 21% profitent de leur escale d’affaires. Au fur et à mesure que le projet de loi antivoile intégral persévère, les réactions en chaîne du monde arabe se font jour, et la menace du boycott pourrait planer telle une épée de Damoclès sur les arrondissements de luxe de la capitale. Le cynisme politique ambiant n’a qu’un seul ennemi de taille: le cynisme des affaires, pour lequel la dignité de la femme et l’argument sécuritaire sont à géométrie très variable, une seule règle d’or faisant foi: l’arithmétique!»(5)
Que faut-il en conclure? La montée des problèmes dans les banlieues, dans l’école ou les transports, amalgamée à l’actualité en matière de voile intégral et de fraudes éventuelles font que plus de deux tiers de Français souhaitent une loi pour interdire ce qui apparaît comme un anachronisme. Mettons-nous à leur place...Ce vêtement est peut-être un nouveau test pour sonder les capacités de résistance de la démocratie française, dont les moindres failles sont exploitées. Certes, il existe une peur de l’Etranger parmi la population ‘‘de souche’’, mais cette peur est savamment exploitée dans les médias et par certains «intellectuels» et des politiques. La solution la plus souhaitable est donc que la communauté musulmane elle-même agisse pour convaincre musulmanes et musulmans que tel comportement heurte la société occidentale et en fin de compte, nuit à l’Islam. Enfin, si le niqab n’est pas une question religieuse mais culturelle, n’est-il pas raisonnable et sage d’adopter la culture du pays où l’on vit?´´ Dans ce cas, il faut condamner les pratiques vestimentaires qui amènent à vivre hors de la société du pays d’accueil. Dans le cas contraire, il n’y a pas de meilleur moyen que la provocation vestimentaire pour braquer les Français non-musulmans. Car ceux-ci devinent facilement la réaction des non-démocraties musulmanes face au problème inverse.
Le monde actuel, écrit Thomas Abdallah Milcent, est caractérisé par la tyrannie financière du libéralisme sauvage. La seule loi réelle est la recherche de profit, ce qui se traduit au plan financier par la volatilité des marchés, au plan industriel par un permanent accroissement de la productivité. Les êtres humains ne sont vus qu’à travers leur capacité de générer du profit, à travers leur pouvoir d’achat ou à travers leur capacité à menacer le système en se révoltant. Dans ce monde où seul le profit règne en maître, l’être humain n’a plus de valeur en tant que tel, il n’est plus jugé qu’en fonction de ce qu’il consomme. La manière simpliste dont on nous présente est soit des musulmans ´´modernes´´, ayant abandonné la pratique de leur religion et qui sont ´´intégrables´´, soit des intégristes refusant tout dialogue avec la modernité et appliquant des règles incompatibles avec la civilisation occidentale et dont l’exemple caractéristique est représenté par les taliban afghans. La réalité est que l’Occident a besoin d’ennemis qu’il diabolise et qu’il caricature. Les taliban, par leur ignorance de l’humanisme de l’Islam, rendent ce grand service aux dirigeants occidentaux. L’Islam met l’être humain au centre de la société. Il existe une sourate à ce sujet: la Sourate 80: «Il s’est renfrogné». Le Prophète discutait avec les notables Qoraïchites non-musulmans. Un vieil aveugle musulman vient tirer le vêtement du Prophète pour attirer son attention et lui poser une question. A plusieurs reprises, le Prophète ne lui répondit pas. C’est alors que fut révélée la Sourate N° 80. Ainsi, un vieil aveugle, pauvre et socialement inutile vaut plus aux yeux d’Allah et donc au regard des musulmans que les plus puissants des seigneurs de La Mecque de l’époque.(6)
Pour imposer le béret qui représentait la laïcité contre la religion au début du XXe siècle, le pouvoir colonial s’était fait aider par Mohamed Abdou. Il leur fit une fewa sur mesure...C’est dire si le pouvoir est coutumier de l’instrumentalisation du sacré. Plus sérieusement, l’Islam du coeur n’a rien à voir avec le paraître. On ne peut pas convoquer l’Islam pour l’agrémenter au goût du jour pour assouvir des passions en profitant de la générosité de la République. L’Islam quoi qu’on dise n’est pas chez lui, ces actions qui sont répréhensibles même en terre d’Islam ne doivent pas servir de prétexte pour diaboliser les Français musulmans qui connaissent leur limite. Mettre sur le même plan la pratique d’une sourate, n’a rien à voir avec les petits calculs bassement matériels de frauder à la Caisse de sécurité sociale si ce fait devrait s’avérer exact. Il n’a rien à voir non plus avec la diabolisation politicienne. Au risque de friser l’ingérence, il semble que la République donne l’impression de caresser dans le sens du poil ceux qui ont une capacité de nuisance comme les institutions musulmanes autoproclamées représentatives de l’Islam de France et donner la parole aux intellectuels «organiques» au sens de Jules Benda, qui en rajoutent pour se faire bien voir du pouvoir et des...téléspectateurs. Ces exégèses intronisées par le pouvoir prônent un Islam sans aspérité devenu mondain et donc loin du sens et des valeurs de cette religion. L’affaire du voile est symptomatique d’un malaise qui est celui de la visibilité de l’Islam.
L’instrumentalisation des extrêmes si elle sert un temps, est à la longue, contre-productive.

Source: www.lexpressiondz.com

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