4 mai 2010

Ces mauvais signaux adressés à l'islam de France

Par François Sionneau

L'attitude de Brice Hortefeux dans l'affaire de Nantes a réveillé de nouvelles tensions avec la communauté musulmane française. Il est vrai que depuis 2007, les petites phrases stigmatisant l'islam ont fait florès. Le rappel de Nouvelobs.com.

"S'il y en a que ça gêne d'être en France, je le dis avec le sourire mais avec fermeté, qu'ils ne se gênent pas pour quitter un pays qu'ils n'aiment pas". Cette phrase, prononcée par Nicolas Sarkozy lors d'un meeting de campagne pour l'élection présidentielle de 2007, est devenue l'une des grandes antiennes du sarkozysme. Plus souvent résumée en un désormais célèbre "La France, tu l'aimes ou tu la quittes", l'expression contient à elle seule l'essence de la politique de l'actuel chef de l'Etat en matière d'immigration et d'intégration. Il faut dire que le passage de Nicolas Sarkozy au ministère de l'Intérieur ainsi que son parcours pour accéder à l'Elysée avaient été marqués par des mots forts : la "racaille", le "Kärcher", le "mouton qu'on égorge dans la baignoire"… Le ton a donc été rapidement donné pour désinhiber les discours sur l'immigration et, tout particulièrement, celle en provenance du Maghreb. Si l'on y ajoute la promesse (tenue par la suite) de créer un ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale, force est de constater que s'est créé un climat de répression, à tout le moins de suspicion, envers une certaine catégorie de la population.

L'UMP, calquant sa voix sur celle du chef de l'Etat, a suivi la même veine. Et l'on assiste depuis trois ans à des stigmatisations de l'étranger, plus ou moins marquées, qui vont jusqu'à diviser la majorité elle-même. Dernière polémique en date : l'affaire de Lies Habbadj. Le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, a cru bon de demander à son collègue de l'immigration, Eric Besson, d'étudier une éventuelle déchéance de la nationalité française pour l'homme dont la femme a conduit sa voiture habillée d'un niqab. Quel motif ? L'homme serait polygame et, par le biais de ses quatre compagnes qui touchent l'allocation de parent isolé, fraudeur aux aides sociales. L'opposition et les commentateurs sont prompts à dénoncer les amalgames du ministre dans cette affaire et souligner les risques de "stigmatisation" de la communauté musulmane. Comment a réagi d'ailleurs cette dernière face à cette affaire ? "On sent une panique dans la communauté musulmane qui se demande jusqu'où ils (le gouvernement) veulent aller", a déclaré M'hammed Henniche, secrétaire général de l'Union des associations musulmanes de la Seine-Saint-Denis (UAM 93). Et d'ajouter : "Pour nous, il sera impossible de jouer le rôle d'intermédiaire entre le gouvernement et la communauté, car on se sent stigmatisés".

Et pourtant, il ne s'agit là que de la dernière affaire en date et un certain nombre de déclarations du même acabit émaille le débat politique français depuis 2007. La preuve en est : mardi 27 avril, François Fillon, en plein débat sur le projet de loi sur le voile intégral, a demandé aux députés UMP d'"éviter tout amalgame et toute stigmatisation" des Français de confession musulmane. Comment comprendre une telle mise en garde si ce n'est à l'aune des dérapages successifs de membres de la majorité ?

Un humour particulier…

Parfois distillées sur le ton humoristique, les petites phrases des politiques prononcées dans un contexte public prennent un tout autre écho lorsqu'elles arrivent sur la place publique. Brice Hortefeux (encore lui) en a fait récemment les frais. Lors de l'université d'été 2009 de l'UMP, le ministre s'adresse à un militant d'origine maghrébine et dit : "Quand il y en a un ça va, c'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes". Une phrase qui lui vaudra des poursuites en justice et des explications très douteuses (selon lui, il parlait des Auvergnats).

Les députés ne sont toutefois pas en reste. Difficile de défendre le député UMP Francis Delattre lorsque, à propos d'Ali Soumaré, son adversaire socialiste et d'origine malienne aux élections régionales, il déclare : "Au début, j'ai cru que c'était un joueur de l'équipe réserve du PSG. Mais en réalité, il est premier secrétaire de la section de Villiers-le-Bel. Ça change tout!". Le porte-parole de l'UMP, Frédéric Lefebvre, préférait alors botter en touche et parler du cas Georges Frêche au Parti socialiste...

Que dire encore de Gérard Longuet qui, interrogé sur la nomination éventuelle du socialiste Malek Boutih à la tête de la Halde, déclare avec le sourire : "Il vaut mieux que ce soit le corps français traditionnel qui se sente responsable de l'accueil de tous nos compatriotes. Si vous voulez, les vieux Bretons et les vieux Lorrains - qui sont d'ailleurs en général Italiens ou Marocains - doivent faire l'effort sur eux-mêmes de s'ouvrir à l'extérieur". Cette fois-ci, c'est le porte-parole du gouvernement Luc Chatel qui évoque, sobrement, une "maladresse".

Un point d'orgue : le débat sur l'identité nationale

Il ne s'agit là que de quelques exemples cités pêle-mêle. Mais un moment politique va être particulièrement fécond en signaux négatifs envoyés aux immigrés et à la communauté musulmane en particulier. Lorsqu'Eric Besson lance le projet d'un "grand débat sur l'identité nationale", plusieurs voix s'élèvent et mettent en garde contre les risque de voir se multiplier les dérapages racistes. Trop tard. Le mouvement est lancé et soutenu, officiellement, par le gouvernement et l'Elysée. S'enclenche alors une machine difficile à arrêter. Si le ministre de l'Immigration s'échine à y voir un bilan positif, force est de constater que le soi-disant débat a tourné à plusieurs reprises vers une stigmatisation des étrangers. Premier élu à se faire remarquer par des propos tendancieux : le maire UMP de Gussainville, commune de la Meuse de 19 habitants. Il déclare, dans un reportage du journal télévisé de France 2 sur le débat : "Il est temps qu'on réagisse, on va se faire bouffer". "Par qui ?", lui demande le journaliste. Et le maire de répondre en faisant référence aux immigrés : "Y'en a déjà dix millions. Dix millions que l'on paye à rien foutre".

Le maire UMP de Marseille Jean-Claude Gaudin y est aussi allé de sa réflexion qui a soulevé un véritable tollé : évoquant les suites d'un match Egypte-Algérie en novembre 2009, Jean-Claude Gaudin a parlé de "15.000 musulmans qui ont déferlé" sur la Canebière. Volée de bois vert pour l'élu de la majorité qui, à l'instar de ses collègues, a expliqué par la suite qu'il avait été mal compris, que son expression avait été malheureuse, etc.

La même défense sera utilisée par la secrétaire d'Etat Nadine Morano après avoir dit, toujours lors d'un débat sur l'identité nationale : "Moi, ce que je veux du jeune musulman, quand il est français, c'est qu'il aime son pays, c'est qu'il trouve un travail, c'est qu'il ne parle pas le verlan, qu'il ne mette pas sa casquette à l'envers".

On entrevoit clairement le même mode de pensée chez le député UMP Jacques Myard lorsque, invité sur un plateau télévisé à parler du débat lancé par Eric Besson, il évoque "nos jeunes Gaulois" qui "ont autant de difficultés". Autant de difficultés que qui ? Les "non-Gaulois" ? Qui seraient donc qui ? Des catholiques blancs ? Jacques Myard avait alors précisé sa pensée en affirmant que "même ceux qui portent des noms français ont des difficultés". Une réponse qui a plus l'effet de jeter davantage d'huile sur le feu que d'éteindre les flammes...

Les minarets suisses inspirent

Le débat lancé par Eric Besson a donc clairement dérivé. Dérive encore davantage facilitée par l'actualité : à la fin du mois de novembre 2009, la Suisse vote à 57,5% pour l'interdiction des minarets. Un vote dans lequel l'Onu voit d'emblée "une discrimination évidente". Une mise en garde qui n'a toutefois pas empêché quelques politiciens français de s'exprimer de manière controversée sur la question. Sur ce terrain, le secrétaire général de l'UMP, Xavier Bertrand, s'est particulièrement distingué en déclarant "ne pas être certain" qu'on ait "forcément besoin de minarets" en France. D'autres propos émanant de la majorité seront plus sibyllins. Je "suis atterré par ce vote mais si on le faisait en France, on aurait peut-être le même résultat", avait lancé François Grosdidier, député UMP de Moselle. De même, le député Jacques Myard avait interprété le vote suisse comme un "excès" répondant à un autre "excès", en l'occurrence "des attitudes de prosélytisme des fondamentalistes radicaux islamiques". Et de conclure : "le seul moyen de rétablir des relations de tolérance est de bannir les signes tels que le port de la burqa et d'affirmer fermement les principes de laïcité, d'égalité des sexes et de dignité de la personne dans les sociétés multi-religieuses". La boucle serait donc bientôt bouclée ? On peut se permettre d'en douter…

Source: Nouvelobs.com

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