9 janv. 2010

Spiritualité et mondialisation

Par Éric Geoffroy

« Où que vous vous tourniez, là est la face de Dieu » (Coran, s. 2, v. 115) : tout ce qui se trouve dans l’Univers est un signe divin, et fait sens. Le musulman ne saurait exclure de la Présence divine aucune religion, aucune culture, aucun visage. C’est bien ce qu’ont vécu les premières générations de musulmans, ce qui explique pourquoi, dans son élan fondateur, l’islam a opéré une véritable « mondialisation » humaniste, une première modernité universelle, qui n’a rien à voir avec la « globalisation » actuelle, de type matérialiste.

De nos jours, l’absence de sens, le nihilisme atteignent l’Occident comme l’Orient, en manifestant des symptômes contradictoires mais solidaires. En Occident, ils ont produit de l’errance morale ; en Orient, le complexe de l’humilié et la culture du ressentiment. Dans les deux cas, le ciel de la spiritualité a été refermé. Mais l’instant même de la prise de conscience généralisée du nihilisme provoque le retour du balancier : la réémergence de la spiritualité sous des formes renouvelées.

Dans ce contexte de désagrégation des repères, de la révolution informatique et de l’instantané médiatique, où « la seule vérité absolue est la totale “fluidité” et le changement continu » (Mohamed el-Tahir el-Mesawi), comment maintenir un espace intérieur non altéré ? Il semble que seule la spiritualité puisse vivifier l’enseignement islamique, selon lequel la sacralité réside non pas dans un temple, mais en l’homme.

Le cosmos lui-même n’a pas la capacité d’accueillir la Présence comme peut le faire l’homme : « Ni Ma terre ni Mon ciel ne Me contiennent ; seul Me contient le coeur de Mon serviteur fidèle », dit un hadîth qudsî. Si les sociétés traditionnelles, qui fournissaient les repères socioreligieux, sont mortes ou en train de mourir, la spiritualité répond que l’homme peut trouver ici et maintenant son axialité en lui-même.

Plus que jamais, avec la mondialisation, la Terre entière devient une « mosquée pure » – comme l’indiquait le Prophète – en dépit de sa pollution matérielle. Le processus d’individualisation du religieux va en ce sens : dans le mouvement d’émancipation vis-à-vis des églises, et parfois même des lieux de culte, les repères seront intérieurs ou ne seront pas.

Dans notre nouvel espace-temps caractérisé par l’immédiateté et la simultanéité, Dieu n’a sans doute jamais été aussi immanent. Vivons-nous dans le « dernier tiers de la nuit », au cours duquel – selon une parole du Prophète – Dieu descend jusqu’à ce bas monde ? La nuit symbolise bien sûr la durée de vie du cosmos et de l’humanité. Pour Ibn ‘Arabî comme pour l’émir Abd el-Kader, Dieu serait plus proche de nous durant cette période…

Oui, la mondialisation conduit à l’uniformisation des cultures pour mieux imposer sa vision mercantile du monde ; oui, elle consacre la domination d’une aire culturelle sur les autres ; oui, elle produit le désenchantement et fait de l’homme un prédateur pour les autres règnes et pour lui-même. Mais ne peut-on y voir la trace, en négatif, de la Sagesse ? Selon le cheikh Bentounès, « Dieu accomplit l’unité du monde à travers la société de consommation ».

La postmodernité cache peut-être le projet suivant : ce n’est qu’après avoir perdu toute illusion quant aux idéologies politiques, religieuses ou scientistes (le « mythe du progrès »), après avoir touché le fonds du manque de repères, de la confusion, que le Sens, quelque visage qu’on lui donne, émergera comme une évidence.

Source: http://www.saphirnews.com/

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