L’alliance ou l’intimité relationnelle :
Ce sujet est toujours évoqué lorsque la
question des relations entre musulmans et non musulmans est soulevée.
Il traite des limites de ces relations que l’on peut considérer sous
deux axes :
- L’allégeance ou l’intimité
relationnelle en matière religieuse et concernant les éléments de la
foi. La relation ici dans sa version proche et intime, affective et
effective ne peut être prêtée qu’à Dieu, son Messager et aux serviteurs
croyants comme le stipule le Saint Coran dans le verset 55 du chapitre 5
(Al Ma’ida -La Table Servie).
-L’allégeance ou la
relation forte et intime dans les affaires de la vie courante : c’est
ce qui concerne les relations entre les membres d’une même société, ou
entre des sociétés différentes de par leurs croyances. Ce type d’allégeance
comprend les échanges, les mariages et les relations familiales, les
pactes et les réconciliations. Les avis sur ces relations sont liés aux
cas qui se présentent et à leurs circonstances. Les livres de
jurisprudence abondent concernant ce sujet. Pour en préciser les
contours nous allons nous arrêter sur quelques pratiques du Prophète Muhammad (saw).
Quelques contributions du Prophète (saw) dans les sociétés Mecquoise et Médinoise :
La vie du Prophète (saw) à la Mecque, que ce soit avant ou après la révélation, fût remplie de participations engagées dans la vie sociale. Citons-en quelques unes.
La guerre contre la profanation : Elle fut déclarée pendant les mois sacrés par quelques tribus arabes contre la cité de la Mecque. Les mecquois s’étaient défendus animés par la sacralité, hérité de la religion abrahamique, des lieux profanés. Cette guerre a duré quatre ans et le Prophète (saw)
y a participé personnellement à côté de ses oncles. Il disait à ce
propos : « Je protégeais mes oncles contre les flèches des ennemis ».
Cette participation émanait d’un sentiment de devoir de lutte contre
l’agression et l’injustice.
Hilf al fudul ou l’alliance pour défendre le faible : Il s’agit d’un pacte, contracté chez Abdallah ibn Jadaan, entre les principales tribus de la Mecque.
Une des clauses les plus importantes de ce pacte est l’engagement par les Mecquois de défendre toute personne, qu’elle soit native de la Mecque ou non, puisqu’il s’y était déclaré spontanément prêt même après l’avènement de l’islam.
Autre action forte de participation du Prophète (saw) :
L’action participative du Prophète (saw) ne s’est pas limitée à la période mecquoise et à l’égard de sa société proche mais s’est également manifestée à Médine et dans des domaines variés. Il est en effet remarquable de voir, qu’alors que les Mecquois
lui interdisaient la visite de la ville sainte et tout acte de
pèlerinage dans ses voisinages, dés qu’il a appris qu’une disette les
avait frappé, il a dépêché Hatib Ibn Thalaalaba à destination de la Mecque avec une somme de 500 dinars pour secourir les nécessiteux et les affamés.
La constitution ou le pacte de Médine :
En arrivant à Médine le Prophète (saw) a conclu un pacte précisant les rapports à observer entre les musulmans, les juifs et les polythéistes. Dans ce document référence, le Prophète (saw) met en avant la co-citoyenneté égalitaire entre les trios composants médinoises sans privilège dû à la religion, à l’ethnie ou à la couleur.
La seule condition à cette allégeance citoyenne était l’engagement pour le bien-être et l’ordre général. On y lit par exemple que les signataires s’engagent à :
- Lutter en commun contre toute
personne qui transgresse cet accord et nuit à la quiétude générale,
soutenir et secourir tout opprimé quelle que soit son obédience , faire
front uni pour la défense de la patrie contre tout envahisseur. C’est
sur cette base de partage et d’engagement patriote et citoyen que les médinois ont pu s’entraider au sein d’une société fraternelle et solidaire.
- Dans le pacte-constitution, les
relations religieuses n’étaient pas oubliées. Des clauses stipulaient le
droit à l’exercice du culte de chacun et le cadre de respect mutuel qui
s’imposait à tous. On peut citer par exemple :
Les juifs des Banou ‘Aawf formaient une communauté avec les croyants.
Les juifs ont leur religion et les musulmans ont la leur.
Les autres tribus juives avaient les mêmes droits que les Banou ‘Aawf.
L’état islamique fondé par le Prophète (saw)
fut certainement le premier dans l’histoire à avoir institué ce
principe de pluralité confessionnelle au sein d’une même société.
C’est parce
qu’ils puisaient de cette approche que, durant leur histoire, jamais
les musulmans n’ont institué la persécution ou le refus des non
musulmans dans les sociétés à majorité musulmane.
Conclusion et avis :
Des trois chapitres précédents qui
introduisent cet avis, on peut aisément conclure que les relations
intimes et profondes en matière des affaires de la vie courante sont théologiquement instituées et ne souffrent d’aucune limitation si ce n’est le respect des valeurs et des principes de comportement musulmans.
L’analyse de la constitution médinoise et les relations que le Prophète Muhammad (saw) entretenait avec les non musulmans, prouvent que si l’allégeance
en matière de religion se limitait aux musulmans, elle n’a pas empêché
l’entraide et le partage dans les différents secteurs de la vie non
religieuse et le respect en matière de religion.
L’islam, tel que le texte coranique et la sunna
prophétique l’annoncent, n’est que miséricorde, justice et recherche du
bien. Une de ses grandes finalités est la réalisation du bien et la
recherche du bien-être pour tous et la lutte contre le mal et le
mal-être au profit de tous, que ce soit à l’échelle individuelle ou
collective.
Les élections dans les régimes
modernes, constituent un moyen par l’intermédiaire duquel le peuple
s’exprime au sujet des candidats et des programmes qu’ils présentent
afin d’en choisir le meilleur pour la société. Participer aux élections
constitue ainsi une forme d’entraide pour rechercher le meilleur
bien-être pour tous et repousser le moins bien ou le mal conformément à
la parole divine « Entraidez- vous dans l’accomplissement du bien et
de la piété et ne vous entraidez pas dans le péché et la
transgression »(chap.5-V:2).
La participation aux élections est ainsi non seulement autorisée mais
elle est très recommandée car elle constitue une forme d’alliance et de
soutien au profit du bien de la société en général et des musulmans en
particulier. Cette participation peut parfois devenir obligatoire. C’est
le cas lorsque les musulmans sentent que leur abstention
peut profiter aux extrémistes et à ceux qui veulent instituer une
société d’intolérance, d’exclusion ou de racisme.
De son coté le Conseil européen de la fatwa dans sa 16e session a émis une résolution rendue publique qui autorise la participation aux élections.
Résolution 5/16 du Conseil européen de la Fatwa et de la Recherche
« La participation politique : ses règles et ses dispositions »
Après étude et examen des travaux présentés concernant ce sujet lors de cette session le Conseil conclut ce qui suit :
Premièrement :
l’objectif de la participation politique est de préserver les droits,
les libertés et de défendre les valeurs morales et spirituelles, ainsi
que la présence des musulmans dans le pays où ils vivent et leurs droits
légitimes.
Deuxièmement : pour
les musulmans d’Europe, la règle est la légitimité de la participation
politique. Cette participation peut prendre le statut juridique qui peut
être l’autorisé (Ibaha), permit (Nadb) et obligatoire (woujoub). Conformément au verset coranique : « Entraidez-vous dans l’accomplissement des bonnes œuvres et de la piété et ne vous entraidez pas dans le péché et la transgression » (S5 : V 2). Cette participation est également une des exigences de la citoyenneté.
Troisièmement : la
participation politique, sous entend la participation dans les
institutions de la société civile, l’adhésion aux parties, le débat
intellectuel et la confrontation des idées et notamment la participation
par le vote et l’élection.
Quatrièmement :
parmi les conditions les plus importantes à respecter dans la
participation politique : le respect mutuel, l’honnêteté, l’éthique, la
justice, la loyauté, le respect de la diversité et du débat
contradictoire, et la concurrence loyale avec les adversaires, tout en
refusant la violence.
Cinquièmement :
dans la participation politique, la candidature et le vote demeurent
essentiels, à condition de respecter les règles juridique et éthiques,
ainsi que la clarté des objectifs au service de l’intérêt de la société
loin de toute fraude, diffamation à l’encontre des autres et des passions personnelles.
Sixièmement :
il est permis de dépenser de l’argent dans la campagne électorale, des
candidats indépendamment de leur confession tant qu’ils soient les
meilleurs candidats pour réaliser l’intérêt général et le bien commun.
Septièmement : La légalité ou légitimité de la participation politique s’appliquent aux femmes musulmanes comme aux hommes.
De ce que nous venons d’exposer, nous concluons ce qui suit :
- Les musulmans sont invités à participer de manière positive et déterminée dans tout ce qui est a trait à l’intérêt général.
- Les musulmans sont appelés à s’engager dans les associations et les différentes institutions de la société civile.
- Ils peuvent aussi adhérer aux différentes formations politiques existantes après étude critique de leurs programmes et idées.
- Les musulmans doivent participer aux
différentes campagnes électorales du parti politique auquel ils
appartiennent et dont ils sont convaincus que les programmes ont pour
but l’intérêt général du pays.
- Ils doivent aussi contribuer
physiquement et moralement, par leur temps et/ou leur argent à la
réussite de leurs partis politiques dont les idées et le programme
seront bénéfique au pays et au peuple et cela conformément au verset :
« et faites le bien. Peut-être réussirez-vous ! » (S 22 : V 77)
- Les différentes institutions musulmanes, les imams
et les cadres religieux sont invités à expliquer ces principes
généraux de la conception musulmane de l’engagement citoyen afin
d’encourager les musulmans à participer d’avantage à la vie de la
société et du pays.
- Les musulmans doivent notamment en
tant qu’individus ou groupes s’inscrire sur les listes électorales et
participer aux différents scrutins, (élections municipales,
parlementaires ou présidentielles)
Cheikh Ounis Guergah
Professeur de droit musulman comparé et directeur scientifique de l’IESH de Paris
Membre du Conseil Européen des Fatwa et recherches
Source : uoif-online.com
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