12 sept. 2011

Etre "musulman, américain et patriote" à New York

Dix ans après les attentats du 11 septembre, les musulmans sont-ils des citoyens new-yorkais comme les autres ? Presque, racontent les habitants interrogés par le quotidien algérien El-Watan.

"Ils crachaient sur les musulmans !" Assise derrière un étal, en face de l’entrée du Centre culturel islamique de New York, Meriem, Guinéenne d’origine, se méfie des laïques, ou plutôt des non-musulmans. Sous son voile et son djilbab [longue tunique islamique] noir, elle scrute, l’œil inquisiteur, les allées et venues. Sur la petite table en bois sont présentés des articles allant de petits sachets de dattes à des chapelets, en passant par des bouteilles d’eau. "Nous sommes passés par des moments très difficiles. Tout le monde nous regardait avec suspicion et haine parfois. Juste après les attentats, des musulmans ont été agressés. Nous rasions les murs", se souvient la quadragénaire.

Dire que la communauté musulmane a connu l’hostilité d’une population entière est peu dire. Les témoignages sont édifiants et racontent tous le même malaise, et à quel point il ne faisait pas bon être musulman dans le New York post-11 septembre : les femmes étaient obligées d’enlever leur hijab ou de démissionner, de connaître le chômage et les licenciements. Afin d’éviter les persécutions, certains ont préféré changer leur nom pour des noms à consonance chrétienne. "De nombreux fidèles ont été arrêtés, ont fait l'objet d’enquêtes et de poursuites, d’autres ont été emprisonnés ou déportés à l’étranger", relate-t-elle. "Des boutiques et des lieux de culte appartenant à des musulmans ont été attaqués", se souvient Kadi, un Algérien de 29 ans. Cela était devenu quasiment impossible pour un musulman de trouver un emploi ou de faire les études de son choix. "Certaines branches ont été interdites aux musulmans, surtout les musulmans arabes, comme les filières scientifiques, chimie ou autres", déplore Serigne, un Sénégalais de 21 ans.

Mais, plus grave, "des citoyens – au nombre de cinq – ont même perdu la vie à la suite d'expéditions punitives ou d'agressions dans la rue", affirme Omar S. Abou Namous, imam du Centre culturel islamique de New York. Cet établissement, l’un des rares lieux de culte de la ville ayant l’architecture extérieure d’une mosquée, est aussi l’un des plus importantes de Manhattan en termes d’affluence. Le centre reçoit près de 2 000 fidèles pour les prières du vendredi. Les jours de semaine, la fréquentation est moindre. "Pour les cinq prières, on voit venir des gens qui travaillent dans le quartier la journée et des riverains le soir. Il y a environ 200 personnes à chaque prière", explique le religieux, un Palestinien. Djellaba et burnous immaculés, l’œil vif et le verbe loquace, l’imam souriant, à la barbe soigneusement taillée, a sur son bureau des ouvrages sur l’islam, un livre traitant de Jésus et de la Vierge, ainsi qu’un document traitant de finances. Il est la preuve vivante que les musulmans ont dû apprendre à "se vendre", obligés d’offrir une autre image d’eux-mêmes, afin de redorer un blason terni par quelques fanatiques et des années de laxisme. "Après les attentats et toute la violence qui en a découlé à l’égard de notre communauté, nous avons dû faire de gros efforts afin de faire comprendre à nos concitoyens que nous n'étions pas dangereux et que nous n'étions pas des terroristes", explique-t-il. Ce qui n’a pas été aisé, tant les préjugés étaient ancrés et les plaies vivaces. "Cela a duré deux ou trois ans durant lesquels les musulmans ont dû faire attention. Puis, à force de communication et d'actes de bonne foi, la situation a commencé à s’améliorer pour nous", assure l’imam.

Dix ans après, l’hostilité est-elle toujours la même ? Les avis sont mitigés. Parfois même contradictoires. Selon Hamida, une Bengalie, qui vit de la charité des fidèles du centre, "dans certains quartiers à forte fréquentation musulmane, la police est souvent présente. Parfois, les gens font encore l’amalgame entre islam et Al-Qaida", déplore-t-elle. Parce qu’elles sont femmes et revêtent leur appartenance religieuse, elles sont plus exposées aux regards, qui est souvent lourd à supporter. Même dix ans après. Constat que ne partage pas Fatima, une Gabonaise, installée aux Etats-Unis depuis une dizaine d’années. Elle travaille dans une mosquée du Midtown, à Manhattan. L’entrée, une modeste porte verte située entre deux échoppes, est flanquée d’une pancarte où il est mentionné Islamic Society. Au bout d’un long couloir, duquel parviennent les échos d’une voix d’homme prêchant en anglais, se trouve le "bureau" de Fatima. Des présentoirs sur lesquels sont exposés divers ouvrages religieux, des CD, ainsi que des qamis [chemises longues], divers modèles de coiffes et de hijabs, des misbaha [chapelets musulmans], ainsi que des biscuits et autres confiseries halal. "Il est très facile d’être musulman ici. Les gens et la loi sont très respectueux de tout un chacun", estime la femme. "En dépit de tout, les Etats-Unis sont ouverts et tolérants. Ce qui n’est pas le cas d’autres pays, tels que la France", insiste Fatima. Car les Etats-Unis restent le pays de la liberté de culte par excellence. "Il n’y a aucune discrimination de la part des autorités. Pour le reste, l’hostilité n’est plus apparente, mais elle reste déguisée, implicite. Dans le secteur privé par exemple", analyse l’imam Omar S. Abou Namous. Certaines compagnies et entreprises privées pratiquent parfois, selon lui, une 'discrimination partielle'".

Pour ce qui est de la sphère sociale, dans les rues par exemple, les musulmans jouissent d’une pleine liberté. Les femmes sortent, travaillent ou font du shopping avec leur foulard, cela sans anicroches. "Je vois même des hommes sortir avec leurs gandouras et autres qamis traditionnels. Ce que je ne fais pas. Je ne porte ma tenue que dans ce centre. Lorsque je sors, je revêts mon costume occidental", s’amuse-t-il. Pourquoi ? "Je ne vis pas à Manhattan, mais dans le New Jersey. J’utilise pour mes déplacements les transports publics. Et porter ce type de tenue dans le métro ou le bus veut dire que vous voulez attirer tous les regards", explique le Palestinien. Est-ce donc à dire que les musulmans doivent se cacher et observer un profil bas ? Pas vraiment. Mais presque. "Nous nous devons d’être patients et de ne pas répondre aux provocations", estiment Meriem et Hamida. "Les musulmans peuvent s’exprimer, se montrer, organiser des parades et autres événements culturels ou cultuels. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Ils construisent des mosquées ouvertement, ils achètent des églises désaffectées", énumère l’imam Abou Namous. Seulement, en contrepartie, ils doivent montrer qu’ils se sont "intégrés". "Aujourd’hui, nous appartenons à cette nation, nous nous sentons citoyens à part entière. Ce pays est notre terre d’accueil et d’adoption, et nous voulons le construire au même titre que n’importe quel autre Américain. Ce qui est d’ailleurs parfaitement incompatible avec le fait d’avoir de la haine et de la malveillance. "Il faut être américain et "patriote".

Vaincre les maux en propageant le bien et en prônant un islam de paix et d’ouverture, cela semble séduire. Ainsi, paradoxalement à cette défiance envers la religion musulmane, tout le monde s’accorde à dire que durant ces dix années les conversions ont battu des records. "Dans notre centre, nous enregistrons de 10 à 15 conversions par mois", affirme Omar S. Abou Namous. "Je pense que les attentats ont mis l’islam sous les projecteurs, ce qui a permis à nombre d’Américains de découvrir cette religion qu’ils ont fini par adopter", juge, non sans fierté, Serigne, qui ajoute, à brûle-pourpoint : "Même des artistes et des rappeurs se sont convertis !" Ce que confirme Abdelhak, 46 ans. Il est l’adjoint de l’imam d’une mosquée de Manhattan. Né juif, il s’est converti au christianisme. Puis, en 1997, il embrasse l’islam, car il a décidé de "croire en tous les prophètes". Il semblerait que ce sont les femmes qui soient le plus enclines à se convertir, "pratiquement tous les jours". "Après ces tragiques événements, il y a eu de nombreux curieux et, au final, beaucoup de chahada [conversion]. C’est une religion en expansion", estime-t-il. "La société américaine sent que l’islam se propage aux Etats-Unis, et que cette religion aura de l’influence et du poids", prédit Omar S. Abou Namous. Lorsque l’on sait qu’ils sont près de 7 millions aux Etats-Unis. Ils étaient 5 millions en 2008...


Source : www.courrierinternational.com

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