21 oct. 2010

Je m'appelle Karim Miské, je suis Français comme Audrey Pulvar

Cette nuit, j'ai fait un rêve étrangement limpide. Je travaillais à France Inter, ma radio depuis l'époque où j'écoutais Feed-back de Bernard Lenoir. Didier Porte était là, qui commentait une dépêche tombée dans la nuit à propos d'un énième dérapage raciste. Seul « non-Blanc » dans le studio, je disais vouloir en parler à mon tour, ce à quoi m'encourageait l'humoriste. Tous les autres me regardaient avec une expression un peu bizarre qui semblait signifier « à tes risques et périls ».

On me tendait la dépêche, elle était illisible, maculée. Impossible de la ré-imprimer. Et cela semblait dans l'ordre des choses : comme si seuls les « Blancs » pouvaient penser ou dire quelque chose de ces propos anti-Arabes, antimusulmans ou anti-que-sais-je-encore.

Je me suis réveillé empli d'un malaise et d'une colère contre les journalistes de cette rédaction imaginaire qui trouvaient déplacé que je réagisse à une insulte me concernant au premier chef. Puis, dans ce moment d'incertitude au seuil de l'insomnie, le visage de Robert Ménard m'est apparu.

Je l'avais vu la veille dans une vidéo − véritable poison pour l'esprit − où l'ex-chevalier de la liberté de la presse rivalisait de poncifs identitaires avec Guy Gilbert, le « curé des loubards ».

Tout y passait : la période probatoire pour l'acquisition de la nationalité française, les églises, les clochers, la nature chrétienne de ce pays, dont il était clair qu'il était plus le leur que le mien. (Voir la vidéo)


Tout à coup, je me sentais dépossédé de mes églises, de mes clochers, de ma France à moi. Depuis la veille, ces propos de café du commerce m'avaient donc travaillé en sourdine. Jusqu'à ce rêve et à cette phrase toute bête qui s'est écrite en moi et m'a fait rejoindre mon clavier à trois heures du matin : « Je m'appelle Karim Miské et je suis Français. » N'en déplaise à Robert Ménard.

Je ne me laisserai pas insulter

Français, oui, et je ne me laisserai pas insulter. Comme Audrey Pulvar qui a répondu avec une juste colère à l'ignoble phrase du parfumeur Jean-Paul Guerlain sur les « nègres » et le travail, soulignant au passage qu'« en France on peut donc prononcer des paroles racistes à une heure de grande écoute, sur un média national sans qu'aucune grande voix, politique, intellectuelle ou artistique ne s'en émeuve ». (Voir la vidéo)


Que sont-elles devenues ces grandes voix ? Ont-elles été définitivement anesthésiées par l'immonde débat sur l'identité nationale, la « séquence Roms », le discours de Grenoble ? A vrai dire, nous avons tous été atteints par ces trop longs mois d'indignité.

C'est peut-être ce qui explique qu'Elise Lucet n'ait pas su réagir face à l'insulte proférée sur son plateau. Elle dont j'étais l'invité lors d'une émission enregistrée sur Public sénat la veille du « dérapage » du parfumeur pour parler de mon film « Musulmans de France » que la chaîne rediffusait et qui l'avait profondément touchée.

Cela m'a rendu triste qu'une personne aussi sensible se fasse ainsi déborder et peine ensuite à prendre la mesure de la douleur infligée par l'insulte. La douleur même dont je parlais ce jour-là justement.

Elise Lucet respire un air vicié

Comme nous tous, Elise Lucet respire un air vicié, empoisonné par le racisme. De cela, les élites politiques et médiatiques portent la plus lourde part de responsabilité. Bien sûr, personne n'est assez stupide pour confondre les expulsions de Roms avec la Shoah.

Il n'empêche, on ne se souvient pas d'une autre période dans notre histoire récente où les autorités en place s'en soient prises nommément et systématiquement à des catégories entières de population − des « gens du voyage » aux « Français d'origine étrangère ».

On ne se souvient pas, comme ne cesse de le souligner Esther Benbassa, d'une autre période depuis l'antisémitisme de la première moitié du XXe siècle où une religion ait été sans cesse désignée à la vindicte populaire.

On sait depuis Marx que lorsque l'Histoire se répète, c'est sous forme de farce. Celle-ci a assez duré.


Source: www.rue89.com

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire