15 juil. 2010

Oui, la "burqa catholique" a existé

Si dans nos sociétés laïques judéo-chrétiennes, la burqa, le niqab ou le voile font débat, on en oublie parfois que l’acte de se couvrir entièrement le corps des regards lorsqu’on est une femme est non seulement ancestral, mais qu’il n’est pas non plus l’apanage des sociétés musulmanes. Direction le Pérou…


Le pays andin revisite en ce moment l'histoire des "tapadas", ces femmes de Lima "couvertes" d'une jupe longue et d'un châle cachant leur visage, d'abord en signe de vertu… mais ensuite pour mieux se libérer: être "masquée" leur permettait justement d’échapper à la vigilance des hommes.



D’origine musulmane ?

Les tenues des tapadas étaient composées d’une saya, une jupe longue, et d’un manto, un voile-châle enveloppant le haut du corps. Ils ont inspiré peintres et écrivains-voyageurs et furent presque considérées au début du XIXe siècle comme une tenue nationale, un signe distinctif de la société liménienne. L'ancêtre de la tenue arriva au Pérou au XVIe siècle, peu après la colonisation espagnole. Elle était alors portée par l'élite ibérique et est un probable legs musulman de l'Espagne maure, la fameuse "al-Andalus" qui importa nombre de connaissances mathématiques; architecturales ou artistiques en Europe et a longtemps représenté une terre multiculturelle par excellence.



Liberté supérieure à la femme non voilée

Elle avait "un clair objectif de recouvrement, de protection de la vertu de la femme, d'évitement de la tentation", explique Alicia del Aguila, sociologue auteur d'un livre sur "Les voiles et les peaux". Peu à peu, les bourgeoises autochtones puis la classe moyenne s'approprièrent la saya et le manto, qui devinrent un moyen d'échapper à la vigilance des hommes, de dissimuler le visage, mais aussi le rang social ou la couleur de peau. Il s'agissait de vêtements "synonymes d'une liberté supérieure à celle de la femme ordinaire", résume del Aguila. "Au XVIIIe siècle, une femme qui sortait seule dans la rue était soit une femme qui y vivait et travaillait, soit une mauvaise femme", rappelle Jesus Cosamalon, historien à l'Université catholique de Lima. La tapada desserrait l'étau sans déshonorer.



Un mari pouvait ne pas reconnaître son épouse dans la rue en train de flirter !

Très nombreuses à Lima au début du XIXe siècle, les tapadas impressionnèrent les observateurs européens, certains admiratifs, d'autres incommodés devant cette forme d'affirmation féminine. "Il n'est nul lieu sur terre où les femmes soient plus libres qu'à Lima", s'enflamma en 1837 la féministe et socialiste franco-péruvienne Flora Tristan, enthousiaste de voir les femmes couvertes, certes, mais libres de déambuler aux arènes, en promenade, au Congrès même. Et de jouer de la suggestion. Le mari pouvait ne pas reconnaître une épouse, flirter avec une inconnue, transgresser. L'Eglise et la Couronne espagnole tentèrent maintes fois de bannir les tapadas. En pure perte, à Lima en tous cas. Des récits romantiques enjolivèrent la part de mystère, de séduction. La tapada pouvait ne laisser voir qu'un seul œil, une chaussure, parfois le talon, ou un bout de bras, "jouant le jeu éternel du dissimuler et du laisser voir", souligne Del Aguila.



La mode finit par tuer les tapadas

Au final, c'est la mode qui sonna le glas des tapadas. Le boom économique du guano (un engrais à base de fientes de chauves-souris) dans les années 1860 amena de nouvelles élites européennes férues de mode parisienne. En outre, la fin du XIXe siècle s'accompagna d'un changement des codes sociaux, d'une volonté de contrôler, de voir, ajoute Casamalon, qui établit un parallèle avec la généralisation à l'époque de l'éclairage public. "Ce qui était sombre était perçu comme dangereux, ce qui était occulté comme mauvais".



Parallèle avec aujourd’hui: l’avis de celles qui le portent n’est pas écouté

Pour Alicia del Aguila, l'histoire des tapadas montre que "la portée, la vie d'une tenue tient surtout à l'usage qu'en font les gens sur le long terme". L'avenir du voile islamique tiendra "surtout à ce qu'en feront de futures générations, peut-être plus laïques, plutôt qu'à un acharnement à légiférer", estime-t-elle. Similitude frappante avec le débat sur le voile, "les avis et prises de position, pour ou contre les tapadas, vinrent surtout de l'extérieur, des autorités ou d'observateurs", relève Casamalon. "La seule voix qu'on n'entend pas est celle de l'usagère du vêtement."

Source: www.rtlinfo.be

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