2 mai 2010

Tribune Badia Benjelloun : Niqab et Nairu.

Par Badia Benjelloun

Nous sommes plongés dans un monde furieusement livré à l’homogénéisation par les forces brutales du capital.
Tout rapport social n’est plus qu’un des effets de la valeur d’échange, la seule valeur permise, la valeur marchande.
L’activité humaine est entièrement assujettie à l’argent, terme ultime de la circulation du travail, des matières premières aboutissant à la plus-value, transformée en profit, profit accumulé, rente et accumulation de capital.
Plus aucune parcelle de cette planète n’échappe à la machinerie capitaliste qui va rejeter jusque dans les hauteurs du Tibet les canettes d’aluminium de ce soda brun aux propriétés détergentes et caustiques.

Refusant d’être prises dans les rets de ce maillage broyant les identités, quelques femmes se soustraient à la mise en scène imposée. Elles prétendent vouloir rester en marge des défilés costumés concoctés par quelques marchands qui imposent saison après saison les coloris et les façons capillaires, cosmétiques et vestimentaires.
Elles exhibent leur refus de l’indistinction habituellement de mise.
Elles le font voir.
Pour ce faire, elles se voilent de pied en cap.
Elles ne font pas l’ermite.
Elles sont de ce monde, mais sous un autre mode.
Chacune d’elle en n’exposant ni son corps ni son visage met à nu l’autre forme possible d’une présence désobéissante à cet ordre qui enjoint un recouvrement cutané très partiel comme surface de marquage commercial. Chacune dit qu’elle entend s’isoler et marquer sa singularité anonyme dans l’espace en effaçant toute particularité qui ne serait que peu lisible parmi le flot des inconnus.
Elles invoquent l’intimité de leur obéissance à une transcendance qui ne les distingue pas par leurs apparats.
Elles se vivent une parmi les unes de la communauté des enfants d’Adam, criant leur humilité sous cet uniforme non conforme. Sans être recluses, elles sont consacrées.

En France, elles sont à peine une poignée ou deux qui portent le niqab, mais au regard d’un pouvoir qui se veut garant d’une haute définition identitaire au point qu’il charge tout un ministère d’en tracer les limites, cette hétérogénéité pose un problème. Davantage même, une menace existentielle puisque toute affaire cessante, il faut édicter une loi qui empêche l’irruption dans l’espace public d’une rébellion à l’ordre de l’homogène qui comprend l’égalité et la dignité comme un alignement selon le diktat du Marché.
Les femmes européennes ne furent exposées au marché du travail capitaliste à cette échelle qui a permis l’affirmation théorique d’une égalité (salariale donc égalité devant l’exploitation) entre les sexes que depuis les guerres européennes mondialisées de 14-18 et 39-45 quand furent décimées des générations entières de soldats et qu’il a fallu remplir les usines d’ouvrières à défaut d’ouvriers.
L’exode rural massif qui a accompagné la mécanisation de l’agriculture intensive dans l’immédiate après-guerre faisant passer la population paysanne de plus de 70% à moins de 5% a fini la désintégration du lien social traditionnel. La mère de famille vivant dans un village sous le regard des voisins et parfois encore du curé parlant volontiers le patois et même portant encore la coiffe régionale est allée en ville se transformer en ouvrière puis en employée de bureau détachée de tout contexte de solidarité traditionnelle. La modernité a réussi à faire d’elle une consommatrice affublée de la liberté d’obéir aux principes de la dictature implicite de la marchandise.
Le reflux des mouvements de protestation sociale depuis les années soixante dix a mis en évidence les dures aspérités d’une réalité sociale avec ses antagonismes de classe. L’idéologie dominante n’a cessé de puiser dans la mise en accusation d’un Autre Barbare pour masquer l’organisation délibérée d’un chômage structurel établi officiellement pour la France à 9-10% selon la loi de Philips. Loin de tout complot dans des caves commis par des malfaiteurs cagoulés, ce taux fut établi mais par le Sénat français. Cette appellation à l’allure scientifique désigne un emploi maintenu rare par le patronat pour ‘ne pas accélérer l’inflation’ c’est-à-dire la fabrication d’une concurrence entre les travailleurs et le maintien des salaires à un niveau volontairement faible pour perpétuer le revenu des rentiers d’abord du capitalisme industriel puis de plus en plus des capitalistes de la finance.
L’obligation d’une consommation de masse qui est l’autre nécessité de la croissance de l’économie capitaliste a généré la dette privée qui a accompagné le développement inexorable de la fausse industrie de la finance qui loin d’être productrice d’une quelconque valeur d’usage ne crée que de la dette.
Ces mêmes années soixante, soixante dix du siècle dernier ont vu l’arrivée massive de travailleurs d’Afrique du Nord embarqués dans des camions par des recruteurs mandatés par les patrons d’usines européennes. Leur cible était des jeunes gens illettrés pris dans des villages reculés de montagnes pour servir de main d’œuvre corvéable et taillable à merci, ne parlant pas la langue du pays importateur de viande fraîche et incapables de se joindre à des mouvements syndicaux qui les ont de toutes les façons rejetés.

Les femmes au niqab dans leur grande majorité sont les filles de ces travailleurs maghrébins, ’français d’origine arabe’ ou ‘français musulmans’.
Elles renient leur soumission à un régime anachronique qui témoigne de son peu de foi en lui-même. Il a convoqué quatre mois de débats ‘nationaux’ pour tenter de définir une illusoire identité nationale lisse et homogène, fétiche agité avec d’autant de frénésie qu’une fracture sociale sépare irréversiblement les précaires et les sans d’avec les nantis et avec une violence institutionnelle traduite dans une législation surabondante en matière de sécurité.
Toute la constellation politique sert les intérêts des patrons des entreprises du CAC 40 ( aux mains à près de leur tiers de non nationaux !) et joue aux fondés de pouvoir des banques privées.

Construire une subjectivité qui se soustrait spectaculairement à l’affichage dans un décor urbain où l’espace dit public est pavé de panneaux qui enjoignent à désirer sans fin des objets est-il un acte d’insubordination radicale à la marchandisation de la vie ?
Le Niqab est à opposer non terme à terme, mais dans une échappée éthique d’une autre substance, au NAIRU. Il en est issu comme un surgeon lointain depuis un développement rhizomique, une émancipation qui croise une théologie libératrice et la sobriété poussée à l’effacement.

Quand le désordre capitaliste exige à tout prix le dévoilement du visage de quelques centaines de femmes qui refusent de faire mirer leur face, c’est une figure de rhétorique la pronomination car désigne l’Islam sans le nommer.
Ce désordre décrète que tout de la vie des individus est sous sa coupe réglée. Le dispositif de ses lois coercitives détruit leurs libertés y compris religieuses. Ses lois court-circuitent le bien commun au bénéfice des quelques privilégiés, elles mettent des populations entières hors droit. Les lois CESEDA ont criminalisé les étrangers, les lois Perben la jeunesse populaire, la loi ‘contre le voile’ a banni des jeunes filles de la scolarité publique dite obligatoire. Dans un temps autre, la quatrième dimension de cet espace quantique, le bouclier fiscal accroît l’épargne des plus riches en aggravant l’endettement de l’État qui consacre l’intégralité des impôts sur le revenu qu’il recueille à payer le service de la dette contractée auprès des banques privées.

L’islam se déploie comme une métaphysique, une ontologie qui ruine les principes au fondement du capitalisme devenu au terme de sa dégénérescence un délire mathématique informatisé, reposant sur le prêt de l’argent sur intérêts et les paris au casino de la Bourse.
Il est radical, violent pour les thuriféraires de l’autre religion, usée par sa course folle et absurde, celle de la main invisible du Marché. Pour eux, ce qui « produit le bien général est toujours terrible ». (Saint-Just). La Terreur des Jacobins qui se devaient de vaincre la résistance des privilégiés continue des siècles plus tard à faire peur la classe des dominants alors même qu’est enfoui le souvenir de la répression versaillaise bien plus sanglante et coûteuse en vies humaines de la Commune de 1871.
Les medias sont pleins des échos de la prétendue Terreur des Islamistes alors que la violence des impérialistes a tué plus de 1,5 millions d’Irakiens depuis l’invasion de 2003.
Une femme meurt tous les trois jours en France sous l’effet de violences conjugales en France et comme le Niqab est la forme vestimentaire la plus dégradante pour la femme, l’urgence est de l’interdire.

La violence réelle et symbolique de l’État est proportionnelle au carré de son impuissance à résoudre les contradictions auxquelles il est soumis.
Depuis quelques semaines, la zone euro est menacée de déflagration sous la tension générée par la dette souveraine grecque. Les banques françaises et allemandes détiennent l’essentiel de cette dette, donc, et peu importe les peuples qui vont payer en dernier ressort, les acteurs importants de l’UE empêcheront la répudiation de sa dette par la Grèce.

Tout ce généreux mouvement de dévoilement aux accents si liberticides et si gentiment islamophobes n’est-il pas un simple déplacement d’une tenture pour camoufler une réalité bien plus aveuglante et incommode à soutenir par le totalitarisme capitaliste?
Ce processus de la dette des États n’est-il pas l’aveu de la privatisation de l’État dans son essence même ?
La contre-révolution thermidorienne commencée sous les auspices de la Présidence de Pompidou, ancien banquier, parfaite sous l’impulsion idéologique néo-conservatrice a privatisé les biens publics, arraché le bien commun à la collectivité, et désormais l’État est directement entre les mains de ses créanciers.

Les statistiques ethniques sont interdites, mais qui peut ignorer que le nombre des Musulmans en France avoisine les 5 millions soit 10% de la population ?
Tous des criminalisés en puissance ?
Quel sera le prochain thème ?
Le voile, le niqab, la polygamie, le mouton dans la baignoire, l’excision, les crimes d’honneur, peut-être même des faux attentats terroristes ?
Dans l’ordre ou le désordre ?
Comment les diviser entre eux, parachever de les séparer du reste du peuple français ?
Il y a un terme à la forme de résistance passive adoptée par les Palestiniens quand toute autre résistance s’avère difficile, c’est le Soumoud. Nous pouvons nous l’appliquer, faire le dos rond, ignorer autant que faire se peut cette violence qui s’abat. Plus le pouvoir perd de sa légitimité, plus il devient violent et plus il se fragilise, et plus il recourra à la violence…
Il ne laissera pas d’autre choix que la riposte par la révolte.

Source: http://islamenfrance.fr

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire