13 mai 2010

Islam en Occident : incompréhension, racisme et manipulation !.

J’ai décidé d’écrire cet article suite à la lecture d’un texte publié sur le site du média citoyen Agoravox, sous le titre "Ces bouchers nazis devenus de bons musulmans". Il ne s’agit nullement, de ma part, de répondre à son auteur dans le détail, mais plutôt de saisir l’opportunité qu’il me donne pour étayer quelques éléments de réflexion qui permettront, je l’espère, de mieux comprendre l’opposition séculaire qui semble s’accentuer, par les temps qui courent, entre l’Islam et le modèle socioculturel occidental.

Commençons donc par décoder la trame du discours martelé dans de l’article en question.

L’Appel à la terreur, comme technique de manipulation de l’opinion

La lecture de ce texte m’a conforté dans l’idée que son auteur s’inscrivait, consciemment ou inconsciemment, dans le cadre d’une tentative de manipulation de l’opinion des lecteurs. En effet, d’une part, notre auteur n’y cite aucune source, en flagrante violation de toute règle éditoriale qui se respecte et ce, d’autant plus qu’il s’agit au départ d’un sujet à caractère historique : la fuite des nazis hors d’Allemagne après la défaite d’Hitler. Notre auteur cible en particulier le Docteur Aribert Heim, disparu depuis 1962 et qui a donné lieu, jusqu’ici, à plusieurs versions contradictoires, dont n’importe quel quidam peut facilement prendre connaissance par un simple clic et dont aucune n’a pu, à ma connaissance, être vérifiée.

D’autre part, cette lecture fait ressortir clairement que notre auteur s’est empressé de se servir de l’unique version qui correspondait à son projet et qui veut que "Heim se serait installé au Caire dans les années 1970, se serait converti à l’islam, aurait pris le nom de Tarek Farid Hussein et y serait mort d’un cancer de l’intestin en 1992 à l’âge de 78 ans", pour ensuite se livrer à la confection d’un texte truffé d’inexactitudes et d’insinuations propices à toutes sortes d’amalgames et de raccourcis, visant à dénigrer les arabes et l’Islam. Morceaux choisis :

"Le monde arabe servait volontiers de sanctuaire aux anciens nazis. Lesquels, s’ils se convertissaient à l’islam, pouvaient même y faire des carrières intéressantes. Car à la détestation commune des Juifs, s’ajoutaient des souvenirs de "frères de combat." Après tout, il y avait bien eu 60.000 volontaires musulmans dans les waffen SS. Cela crée des liens..."

"Bien que tous ne se soient pas convertis [à l’Islam], voici une liste (non exhaustive) de ceux qui récitèrent la shahada afin de complaire à leurs nouveaux maîtres …". Sans commentaires !

La réalité est que notre auteur n’est nullement intéressé par la filière égyptienne, au temps de Nassérisme nationaliste, de la fuite des nazis (voir cet article qui traite convenablement le sujet ici), mais ne fait que se servir d’une version très controversée, y compris par le Centre, spécialisé dans la traque des nazis, Simon Wiesenthal de Jérusalem lui-même, pour manipuler l’opinion du lecteur et déverser ensuite en douce ses "bons sentiments" à l’égard des arabes et de l’Islam.

La technique de manipulation classique utilisée ici, consciemment ou inconsciemment, par notre auteur consiste à faire appel à la terreur (les boucheries du nazisme) plutôt qu’à la réflexion. Elle vise à court-circuiter ainsi l’analyse rationnelle, et donc le sens critique du lecteur, et permet en plus, toujours grâce à l’utilisation du registre de la terreur, d’ouvrir la porte d’accès à l’inconscient, pour y implanter les idées, les désirs, les peurs, les pulsions, ou les comportements, soutenus par notre auteur. En l’occurrence, il s’agit, ici, de l’idée selon laquelle le bon Islam pourrait faire le lit d’une doctrine aussi destructrice que ne le fut le nazisme. Rien que cela !

Signalons, enfin, que le titre accrocheur de notre auteur trahit à lui seul toute cette manipulation, si l’on y regarde bien. En effet, à la place du mot "musulmans", l’auteur aurait dû, si l’on s’en tient strictement au contenu de son texte, utiliser dans son titre le mot "égyptiens", dans la mesure où, comme il le reconnaît lui-même, les nazis qui ont fuit vers ce pays dans les années 1950-1960 et y ont accédé à des postes sécuritaires dans la fonction publique, ne s’étaient "pas tous convertis [à l’Islam]".

Mais, qu’à cela ne tienne. Pour que le titre de l’article en question soit suffisamment accrocheur et surtout évocateur des idées latentes vers lesquelles son auteur escomptait amener le débat, il n’y avait qu’un pas à franchir : utiliser le qualificatif religieux majoritaire des égyptiens et le tour était joué ! Personne ne pouvait ainsi y trouver à redire, à première vue, étant donné que par un raccourci paralléliste entre Islam et Christianisme (deux religions de masse ne faisant aucune distinction raciale contrairement au Judaïsme), cela n’aurait rien de choquant, aux yeux de notre auteur, d’affirmer que des bouchers nazis étaient devenus de bons chrétiens quand on sait le rôle historique, passif ou dans certains cas actif, joué par l’Eglise en Europe lors des évènements tragiques de la seconde guerre mondiale.

Seulement voilà, d’une part, il n y’a pas en Islam d’équivalent à l’Eglise - au sens institutionnel du terme - et, d’autre part, l’auteur de l’article en question ne fournit aucune preuve historique de l’implication des entités de l’Islam en Egypte dans un quelconque soutien à l’Allemagne nazie.

Laissons donc de côte ce texte et essayons de traiter le sujet du présent article, en nous posant les deux questions suivantes :

Qu’est-ce qui a fait que l’Europe en était arrivée à être le théâtre des pires atrocités que l’humanité eut à connaître, lors de la seconde guerre mondiale, après s’être sortie du moyen âge, l’époque de la philosophie des Lumières et un développement scientifique, industriel et économique sans précédent ?

Il serait trop long d’examiner une telle question dans un article aussi court (lien), mais, comme tout le monde sait, cette barbarie, aux effets destructeurs inédits, peut être imputée à tout sauf à la Religion.

Passons donc à la deuxième question qui est plus d’actualité.

Y a-t-il des raisons objectives à l’Islamophobie ?

L’opposition entre ce que l’on peut appeler "Occident" et "Monde musulman" ne date pas d’aujourd’hui, comme tout le monde sait. Sur le plan idéologique, l’Islam était très présent dans la littérature européenne dés le XVIIIème siècle, d’une manière combien ambiguë (in Islam et Modernité. A. Laroui, La Découverte 1987).

Dans son Essai sur les Mœurs, Voltaire exprima à maintes reprises son admiration pour les réalisations culturelles islamiques : "Il est évident que le génie du peuple arabe mis en mouvement par [Mühammad] fit tout de lui-même pendant les trois premiers siècles et ressemble en cela au génie des anciens Romains". Cependant le même Voltaire écrivit [Mühammad] ou le Fanatisme, pièce qu’il dédia au Pape de l’époque en ces termes : "Je veux consacrer au chef de la véritable religion un écrit contre le fondateur d’une religion fausse et barbare".

Ce double jugement contradictoire porté par Voltaire, qui représentait pourtant l’attitude la plus ouverte envers l’Islam, sur une religion qu’il n’avait pas les moyens de connaître, est révélateur de l’attitude qui prévalait, et prévaut encore aujourd’hui, chez bon nombre d’intellectuels occidentaux. Si, en effet, Voltaire dit du bien de l’Islam c’était pour dénigrer l’Eglise catholique et s’il en dit du mal c’est lorsqu’il constatait que les pratiques musulmanes s’approchaient du Christianisme du moyen âge.

Les deux religions ont ainsi en commun un aspect sociologique que les philosophes européens des Lumières ont condamné sans appel, bien que l’Islam eut le mérite, sur le plan du dogme, de rejeter le credo irrationnel du Christianisme.

Plus généralement, l’occidental qui a dans son esprit un modèle de religion (rationnelle ou naturelle) adopte objectivement deux attitudes vis-à-vis de la religion islamique. Quand l’Islam, qu’il se représente vaguement d’après les rares sources crédibles dont il dispose, s’en approche il ne peut que le louer, dans son for intérieur du moins. Mais quand l’Islam lui semble y contredire, il a tendance à le dénigrer haut et fort avec plus de hargne encore qu’il ne critique le Christianisme, puisque à ses yeux "à l’irrationalité du dogme [chrétien] s’ajoute la barbarie des mœurs [islamistes]."

De l’autre côté, le musulman, lui, a généralement tendance à ne retenir du passé que les jugements favorables à l’Islam. En opposant Islam et Christianisme, l’un des tous premiers réformistes salafistes de l’Islam Jamal Al Din Al Afghani (1839-1898) a posé certaines questions intéressantes "auxquelles les orientalistes n’ont pas su apporter des réponses satisfaisantes" (Ibid, p-135).

"L’Islam est de prime abord plus favorable à la raison que le Christianisme, et c’est pourtant dans une société chrétienne que fleurit la science expérimentale ; l’Islam loue l’action tandis que le Christianisme appelle au renoncement, et c’est pourtant la société chrétienne qui poussa jusqu’au bout du monde la soif d’acquérir et de conquérir ; l’Islam a toujours accepté de coexister avec d’autres religions alors que le Christianisme ne l’a jamais admis de bon gré, et c’est pourtant dans la société chrétienne que s’est imposée la laïcité, etc.

De telles antinomies ont été relevées … par Voltaire aussi bien ; elles expriment sans doute une certaine réalité. Il semble bien que l’Islam a posé au départ certaines valeurs que la société chrétienne d’occident a fini par réaliser ".

Si l’on ajoute à cela, le poids du souvenir de l’histoire coloniale occidentale dans le monde musulman et de sa politique d’influence qui perdure à nos jours, l’échec historique du salafisme et l’absence d’un véritable rationalisme musulman salvateur, on comprend dès lors les tenants de l’opposition idéologique criante qui prévaut à nos jours entre le monde musulman, encore à la défensive et braqué sur le passé, et l’Occident, qui continue à voir l’Islam avec ses propres préjugés religieux historiques et ses propres peurs héritées de son propre passé.

Comment s’étonner dès lors que le fossé qui sépare ces deux mondes soit une aubaine pour les racistes, les extrémistes et les manipulateurs (notamment politiques) des deux bords ?


Source: www.islamenfrance.fr

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