Il y a mille bonnes raisons de ne pas promulguer une loi d’interdiction totale de la burqa en France. D’abord, parce que ce serait une loi particulariste faite pour seulement 2 000 femmes. Ensuite, qu’elle soit faite au nom du principe de sécurité ou de la dignité de la femme, elle risque fort d’être retoquée au Conseil d’Etat ou à la Commission européenne des droits de l’homme pour non-conformité avec les textes existants. De plus, cette loi serait inapplicable. Imaginez un peu... On va pénaliser cette pauvre femme en burqa sur le marché et on va lui dresser un P.-V. ? Absurde disent avec bon sens les partisans du « savoir raison garder ».
Ensuite, ce serait une loi qui aurait toutes les chances d’être stigmatisante car, même si l’écrasante majorité des musulmans n’a rien à voir avec la burqa qui n’est pas une pratique de l’islam français, légiférer pourrait créer un réflexe d’union sacrée. Et puis, soyons clairs, cette loi est obscène lorsqu’on pense aux urgences et aux priorités auxquelles notre pays doit faire face. Pour lutter en amont contre la crispation identitaire, il faut que l’école ait les moyens d’éduquer et de former, qu’elle joue son vrai rôle de réduction des inégalités sociales ; et il faut une dynamique de l’emploi urgente pour redonner de l’espoir. Une autre bonne raison de ne pas la voter pourrait être de renvoyer dans leurs cordes le président de la République et le président du groupe UMP à l’Assemblée, brusquement si soucieux de la dignité et de la condition de la femme, alors qu’il n’existe même plus de ministère des Droits de la femme en France et qu’actuellement se prépare en coulisses un projet de loi sur les conseillers territoriaux qui va faire régresser le nombre de femmes élues. On imagine trop bien, hélas, ce que masque en réalité cette passion soudaine pour les femmes : une motivation beaucoup plus clientéliste qui est de faire plaisir à une frange supposée islamophobe de l’électorat et de rassembler les troupes malmenées par trop d’ouverture à gauche, trop de mauvais résultats électoraux et trop d’omnisarkozysme contre-productif. La simplicité serait de faire appliquer des règlements au nom de la sécurité dans les lieux publics et d’abandonner prudemment cette bombe à retardement.
Il y a mille excellentes raisons de ne pas voter une loi d’interdiction totale, et une seule de le faire : c’est justement parce que c’est une position symbolique de principe. C’est justement parce qu’elle ne se préoccupe pas du « comment », du « où » et du « oui, mais... ». C’est justement parce qu’elle affirme que la disparition du visage des femmes, leur exclusion du champ social au nom d’un principe misogyne, bref l’effacement de leur identité est non défendable, non négociable. Et parce que nous y croyons de toutes nos forces, ces forces multiples et pluralistes qui nous ont forgé un destin commun et qui ont créé en France les règles du vivre ensemble et de l’égalité entre les hommes et les femmes. Ce vivre ensemble, l’islam de France en est partie prenante. Résolument. Alors, de grâce, arrêtons de tout mélanger, le niqab et la polygamie, l’urgence et la précipitation, dans un fourre-tout médiatique pitoyable. La loi affirme une position symbolique. Elle doit être votée sereinement. Et pour cela il faut lui laisser le temps d’un vrai débat à l’Assemblée nationale, sans procédure d’urgence.
Il y a neuf ans, notre magazine avait mis en couverture de ELLE une femme afghane dans sa prison de tissu, soumise aux lois impitoyables des talibans. A l’époque, laquelle d’entre nous aurait pu imaginer que ces mêmes femmes cloîtrées créeraient une polémique en France autour de leur « droit à disparaître librement ». Pour toutes les femmes, en Afghanistan ou ailleurs, qui attendent de voir quel langage va tenir la France, n’ayons pas peur. Que la France devienne une terre d’exception où l’on dise non, par principe, à la burqa, c’est déraisonnable, insensé, inapplicable, risqué. Mais c’est une absurde déraison dont on peut vraiment s’enorgueillir.
Source: http://www.elle.fr
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