1 nov. 2010

Le moment…fraternité humaine

Par El Hadji Babou BITEYE

« Encore un écrit sur le vivre ensemble ! », s’exclameront sans doute certains lecteurs.

Le sujet a mobilisé et continue de mobiliser bon nombre d’intellectuels, d’acteurs, de simples humains. Parce que nous vivons aujourd’hui dans des sociétés de plus en plus diverses, il nous faut être animé d’un grand esprit d’ouverture, de tolérance, de respect de la singularité de l’autre, quelles que soient ses orientations philosophiques ou religieuses. Vu le nombre de colloques, de conférences, de livres, de rencontres, de débats autour de ce thème, à juste titre d’ailleurs, on peut affirmer que c’est Le défi de notre siècle et des prochains…Un défi majeur de l’existence humaine, pour aujourd’hui et demain,…l’unité des singularités…

Ce principe est d’autant plus important à réaffirmer aujourd’hui que notre société est de plus en plus traversée par la souffrance, la pauvreté, le désespoir et j’en passe. Comme le relevait Régis Debré [1] en termes plus imagés « parallèlement au réchauffement climatique en cours, et peut-être pas sans rapport avec lui, le climat entre les groupes humains se détériore sérieusement. L’écologie culturelle ne se porte pas mieux que l’autre, en dépit de nos belles résolutions ».


Réalité que nous observons quotidiennement avec l’agressivité, la virulence/violence dans les discours, dans les actes, l’effritement des appartenances communes, la précarité de plus en plus désespérante dans nos sociétés renforçant les clivages sociaux. F. Aubenas, dans un livre intitulé « Quai de Ouistreham » décrit cette misère sociale, après s’être immergée pendant six mois dans ce qu’elle appelle « la France invisible », en se mettant dans la peau d’une femme de ménage. Son livre, sous l’angle de la pauvreté, témoigne du malaise social qui traverse notre société.

Dans le même sillage, Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République, dressait un rapport assez alarmant, il y a quelques mois, sur l’état de notre société, où « le chacun pour soi remplace l’envie de vivre ensemble », une société en « tension nerveuse », « fatiguée psychiquement »…Au demeurant, on pourrait juste nous rétorquer qu’il n’est pas besoin d’être sociologue ou savant pour constater que notre société va mal. La pauvreté galopante de bons nombres de nos concitoyens, sans parler de celle d’une bonne partie de la planète, du tiers ou quart-monde, que nous n’avons pas le devoir d’oublier, est parfois alarmante. À ce tableau, on peut ajouter aussi les crispations identitaires, la fracture sociale, les inquiétudes des parents sur l’avenir (professionnel) de leurs enfants face aux lendemains incertains. Devant ces maux, insurmontables à première vue, loin de nous l’idée de tenter d’y apporter des solutions matérielles. En revanche, ce que l’on peut constater, c’est qu’il est urgent dans nos sociétés de renouer avec ce qui constitue une essence de notre existence : la fraternité humaine.

Ce mot Fraternité, un des symboles de notre République, moins cité que ses deux voisins (Liberté et Egalité), est de nos jours jeté aux oubliettes, en raison, peut être, de la difficulté à le mettre en œuvre. Nous sommes ainsi renvoyés plus à nos devoirs qu’à nos droits, à plus de sacrifices individuels et collectifs, éthiques et matériels.

Ce terme intronisé en 1848 dans la triade républicaine, comme le rappelait Régis Debré [2], est devenu orphelin aujourd’hui dans les discours publics et dans les pratiques entre concitoyens, quelles que soient les appartenances. Alors qu’il est même, paradoxalement, aux fondements des religions, des spiritualités, et des grandes philosophies. Nous sommes aujourd’hui, beaucoup plus attirés, embarqués dans des logiques de confrontation, face à la surmédiatisation des propos des uns et des autres qui vont dans ce sens, que dans la construction d’une société plus apaisée, plus réconciliée, plus humaine.


Au-delà de toutes nos différences légitimes et respectables, le rôle de toute religion, courant philosophique ou humaniste tout court, est d’œuvrer pour réconcilier l’humanité avec soi-même et développer une véritable philosophie de la diversité. On ne peut prétendre exiger le respect de sa propre « différence » si on nie celle des autres. Le pluralisme, la diversité, ne doivent être des slogans, mais un mode de vie qu’il faut intérioriser et développer au quotidien. Une vraie conception de la diversité, de la place de l’Autre dans sa façon de voir le monde doit être développée par toute tradition religieuse et philosophique qui se respecte.

Notre fraternité humaine est à construire en permanence, car sa fissure menacerait l’équilibre humain dans sa globalité. Une vraie philosophie du pluralisme, pour paraphraser le titre d’un ouvrage du philosophe Tariq Ramadan, est à développer dans chaque famille religieuse et tradition philosophique, amenant ainsi chacun à reconnaître que Sa vérité n’est pas forcément celle des Autres et vice-versa.

Il revient aux hommes et aux femmes, épris de sagesse, de générosité et d’humanisme de remettre au cœur de notre Pacte républicain ou même humain tout simplement, cette valeur incontournable à notre existence communautaire. Mettre plus d’humanité dans nos rapports, renforcer quotidiennement et individuellement la cohésion sociale, l’esprit de tolérance, l’entraide. Redonner de l’espoir, de l’optimisme et de la joie de vivre. La fraternité humaine mérite un véritable projet civilisationnel, et est loin d’être un mot ringard.

El Hadji Babou BITEYE, Doctorant en Histoire médiévale à l’EHESS

Notes

[1] Régis Debré, Un mythe contemporain : le dialogue des civilisations CNRS Éditions, août 2007.

[2] Régis Debré, Le moment fraternité, Gallimard, 2009


Source: El Hadji Babou BITEYE

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