7 déc. 2009

Le Soleil d’Allah Brille sur l’Occident

Extraits du livre “Le Soleil d’Allah Brille sur l’Occident” de Sigrid Hunke

Au Xème siècle, un médecin de Kairouan, en Tunisie, avait acquis une certaine notoriété. Le sultan de Boukhara (aujourd’hui dans la république soviétique d’Ouzbékistan), qui avait un fils de santé fragile, lui écrivit pour lui proposer de venir s’installer à sa cour. Le médecin calcula qu’il lui faudrait 400 chameaux pour emmener avec lui sa bibliothèque, dont il ne pouvait évidemment se séparer, et il refusa. L’ensemble de sa bibliothèque pesait en effet dix tonnes.

Un autre médecin de Kairouan, Ibn al-Jazar, laissa, à sa mort, 250 quintaux de parchemins qu’il avait recouverts de son écriture : toutes ses observations cliniques. C’était l’époque où le calife fatimide du Caire al-Aziz Billah possédait un million six cent mille volumes, dont 6 500 traitaient de mathématiques et 18 000 de philosophie. En lui succédant sur le trône, son fils fit aménager et remplir dix-huit nouvelles salles.

Mais en pays musulman, à cette époque, une telle accumulation du savoir n’est pas au seul usage des princes. Un voyageur qui se rend à Baghdâd en l’an 981 raconte à son retour qu’il a dénombré plus de cent bibliothèques publiques dans la ville. La plus modeste cité d’Orient a la sienne, où n’importe qui peut venir consulter les ouvrages. Celle de Nayah, par exemple, une petite ville d’Irak, comporte 40 000 volumes.
En Occident, à la même époque, les monastères, seuls à détenir les livres, en ont une vingtaine tout au plus. Et parce qu’ils sont si rares, ils sont enchaînés et gardés jour et nuit… En l’an 1386, c’est-à-dire quatre siècles plus tard, la Faculté de médecine de Paris ne possédera encore qu’un seul livre: l’ouvrage encyclopédique du fameux médecin persan Ar-Razi, dont le titre est “Le Réservoir de la médecine (Al-Haoui)”. Traduit en latin, ce monument s’appelle “Continens”.
Lorsque le roi Louis XI veut l’emprunter pour pouvoir le lire à son aise chez lui, il doit verser à la Faculté une caution de douze livres d’argent et cent écus d’or…

Tels sont les anecdotes et les chiffres étonnants qui mesurent l’écart des connaissances entre l’Europe chrétienne, à cette époque-là, qui va être celle des Croisades, et l’Orient musulman.

Pourquoi ? La réponse est lourde de sens alors que ce même Orient musulman voit aujourd’hui se lever en son sein les forces d’un fanatisme religieux qui n’est pourtant pas dans sa tradition. La réponse est qu’au temps où les sultans et les califes font régner un despotisme éclairé de l’autre côté de la Méditerranée, l’obscurantisme religieux règne en maître sur les esprits de l’Occident, anéantissant toute recherche scientifique possible, pour des siècles.
Galilée, ne l’oublions pas, ira en prison en 1636 pour avoir découvert que la terre tourne autour du soleil et ne sera absout de ce crime par les tribunaux du Vatican que de nos jours…

Au XIIe siècle, un notable musulman, hôte des chevaliers francs de l’Ordre de St-Jean, se rend à Jérusalem alors capitale du royaume chrétien de ce nom. On lui fait visiter l’hôpital tenu par les chevaliers de l’Ordre. Il voit que les blessés graves qu’on y amène, ayant d’être admis à recevoir le moindre soin, doivent se confesser et manger le pain de la communion, quelle que soit l’urgence de leur état. Il s’en s’étonne et demande des explications.
On lui dit que le Synode de Nantes, en l’an 895, a légiféré une fois pour toutes à ce sujet : « Le corps d’aucun malade, celui-ci fût-il délirant de fièvre, ne doit recevoir de soins avant son âme. » Cette règle n’est pas une erreur passagère commise par les évêques bretons du Xème siècle. Elle sera confirmée en 1215 au sommet de la hiérarchie catholique européenne, c’est-à-dire au concile de Latran, qui ordonne, après de longs débats : « Sous peine d’excommunication, il est interdit à tout médecin de soigner unmalade si ce dernier ne s’est pas au préalable confessé. Car la maladie est issue du péché. Si le malade se décharge par la confession du poids de celui-ci, alors, la cessation de la cause entraînera la cessation de l’effet, et la souffrance physique disparaîtra. »
La science médicale est donc rayée d’un trait de plume, au profit de l’intervention divine permanente dans les affaires du corps humain. Et c’est, en conséquence toute la science qui est paralysée, et rendue inutile. Le texte du Concile ajoute pour ne laisser aucune échappatoire : « Quiconque s’avisera de se faire soignerpar un médecin juif ou Sarrazin sera frappé d’excommunication. Car le salut de son âme serait alors directement menacé… »

Cependant, de l’autre côté de la Méditerranée, Ibn Ridouan, directeur du corps médical du Caire, lui, a édicté depuis longtemps la règle suivant laquelle « le médecin doit soigner ses ennemis dans le même esprit, avec le même intérêt et la même sollicitude que ceux qu’il aime ».

Au temps où principautés franques et émirats Sarrazins vivaient côte à côte en Syrie et en Palestine, l’émir de Cheisar prêta un jour au seigneur chrétien, qui régnait sur la casbah voisine de Mounaïtira, son médecin nommé Thabit. Il y avait en effet dans la garnison franque de nombreux malades qu’on ne parvenait pas à guérir. Mais Thabit revint très tôt à Cheisar, effrayé de ce qu’il avait vu.
« On m’avait amené un cavalier qui avait un abcès à la jambe, raconta-t-il à l’émir, et une femme atteinte d’une fièvre hectique. Je pose un emplâtre suppuratif sur la jambe du soldat. L’abcès crève et la guérison semble certaine. Mais arrive le médecin franc, qui s’écrie que je n’y connais rien. “Veux-tu vivre avec une seule jambe, demande-t-il au cavalier, ou mourir avec les deux ?” “Vivre avec une seule”, répond l’autre, qui n’avait pas confiance non plus dans ma science, une science d’infidèle, comme ils disent.
Le médecin franc fait venir un homme avec une hache et lui ordonne de trancher la jambe du malade sur un billot de bois. L’homme à la hache, peu versé en chirurgie, doit s’y prendre à deux fois pour trancher la jambe, et le malheureux cavalier meurt presque aussitôt… Quant à la femme, poursuit Thabit, je lui avais prescrit, comme il se doit, un régime alimentaire exclusivement compose de légumes, qui pouvait seul lui permettre de se rétablir. Mon adversaire l’examine, et annonce : “Ce cas est clair. Un démon s’est épris d’elle, et il s’est logé dans sa tête. Coupez-lui les cheveux !”
On rase le crâne de cette femme, elle recommence à manger la nourriture de tout le monde, avec force ail et moutarde. Bien entendu, sa fièvre monte. Le médecin franc revient et déclare : “Le démon s’est transporté au cerveau !” Il enlève avec un rasoir une portion du cuir chevelu qu’il taille en forme de croix. L’os crânien apparaît. Il le frotte de gros sel. La malheureuse femme entre bientôt en agonie. J’ai pensé, conclut Thabit, que je ne pouvais pas être très utile là-bas… »

Au-delà des Pyrénées, en ce temps-là, les Arabes sont maîtres de l’Espagne : la ville de Cordoue compte cinquante hôpitaux battant le record de Baghdâd qui en a plus de quarante, construits sur l’ordre d’Haroun al-Raschid, le sultan des Mille et une nuits. Selon des lettres écrites par des malades à leurs familles, et qu’on a retrouvées, on sait que tous ces hôpitaux fonctionnaient comme les hôpitaux modernes d’aujourd’hui.

Ils étaient divisés en services spécialisés, qui comptaient même un service de psychiatrie, alors qu’en Occident les fous se trouvaient enchaînés dans les prisons. Ce n’est qu’en 1751 qu’on envisagera de les soigner en Angleterre, et en France en 1792, quand le médecin Pinel arrachera à la Convention un décret qui tirera les aliénés des geôles pour leur donner un statut de malades.

A Baghdâd comme à Cordoue, au XIIe siècle, les professeurs de médecine font la ; tournée des lits des malades chaque matin, entourés des élèves. « Les lits sont moelleux, les draps blancs, les couvertures aussi douces que le velours, écrit un jeune homme à ses parents. Chaque chambre a l’eau courante. On chauffe lorsque les nuits sont fraîches… »

La perle de tous les hôpitaux est l’hôpital Nouri du Caire, avec ses pavillons différents pour chaque service, au milieu de jardins ombrages. Al-Mansour Qalaouin, jeune général égyptien, y sera guéri de ses coliques hépatiques. Il fait vœu alors d’édifier un hôpital encore plus beau s’il devient sultan. Arrivé au pouvoir, il fait bâtir à grands frais l’hôpital Mansouri entre les deux citadelles du Caire, qui devient le plus bel établissement du monde.

Tous les patients y sont soignés gratuitement et, après leur convalescence, ils partent avec des vêtements neufs et plusieurs pièces d’or. Les directeurs de ces hôpitaux tiennent des registres où toute dépense est consignée, et ces registres nous sont parvenus. Les médecins n’y exercent qu’après avoir subi des examens sévères. ar-Razi, avant de devenir le médecin-chef du plus grand hôpital de Baghdâd, doit se mesurer avec plus de cent postulants. Il dispose après sa nomination d’un état-major de vingt-quatre spécialistes qui dirigent les différents services. Tous travaillent entourés d’étudiants, qui apprennent ainsi leur art comme de nos jours, tandis que dans les facultés occidentales d’alors on dispense savoir purement livresque et qu’il est formellement interdit de disséquer les cadavres.

Dans les Etats des sultans et des émirs, un médecin n’est autorisé à exercer art sans avoir reçu un diplôme délivré ces hôpitaux. La mesure a été décidée en l’an 931 par le calife Al-Mouktadir de Baghdâd, après qu’un patient soit mort la faute professionnelle d’un médecin.
Cette année-là, Al-Mouktadir institue un « Ordre des Médecins », dont Sinar Ben Thabit reçoit la présidence. Il y a bientôt 860 médecins diplômés à Baghdâd, qui ne peuvent exercer que dans leur spécialité. Et ce n’est qu’après les Croisades, qui donnent aux Francs l’occasion d’apprendre ce qui se passe chez les musulmans, qu’on bâtira en Europe des hôpitaux réservés aux malades, au lieu des hospices qui recueillaient indistinctement voyageurs, enfants abandonnés, infirmes et miséreux au milieu de ceux qui souffraient d’une infection.

L’Hôtel-Dieu de Paris sera un des premiers. Par des témoignages du temps, on sait que les malades y étaient couchés dans la paille, les pieds des uns près de la tête des autres, enfants, vieillards, femmes et hommes mêlés. Une femme accouchait à ôté d’un typhique, un nourrisson se débattait dans des convulsions à côté d’un tuberculeux qui crachait. Les infirmiers circulaient avec une éponge imbibée de vinaigre devant la bouche, à cause de l’odeur pestilentielle. Les cadavres restaient longtemps au milieu des malades avant d’être emportés, tout cela dans un nuage de mouches. Nous avons vu plus t comment étaient tenus les hôpitaux Baghdâd…

Ar-Razi, médecin-chef de l’hôpital du plus grand établissement de cette ville, mourra en laissant l’œuvre énorme que nous avons mentionnée, celle que Louis XI voulut lire, faite de toutes les observations recueillies pendant des dizaines d’années et des traitements qu’il avait conçus. Sa sœur Chadicha ayant gardé ces manuscrits dans des nombreux coffres, un vizir du Sultan les lui rachètera, réunira tous les médecins qu’ar-Razi a formés et les chargera de classer tout cela. Toutes les maladies y sont décrites : la malaria, le cancer, la coxalgie, et cent autres, montrant que la médecine de Baghdâd est aussi bien informée que la médecine moderne. On y trouve un Traité de la rougeole et de la variole, alors qu’en Occident, on voit dans ces affections épidémiques des fléaux divins. Ar-Razi a expérimenté un nombre extraordinaire de médicaments en utilisant pour cela des chiens et des singes. Il professe qu’un médecin doit soigner jusqu’au bout les incurables, en leur laissant ignorer la gravité de leur mal, afin de les aider à lutter. Le grec Hippocrate, lui, vénéré pourtant comme un des fondateurs de la médecine, déclarait que « celle-ci exige qu’on ne s’approche pas de ceux que la maladie a déjà vaincus, car elle est impuissante… »

On reconnaît à cette phrase malheureuse l’esprit philosophique des Grecs, qui va être la cause des erreurs dans laquelle la médecine occidentale va s’enfoncer, avant d’être victime de la religion. En effet, Hippocrate s’est empressé à adopter la théorie d’Empédocle sur les quatre éléments, puisqu’il faut bien adopter une théorie. Il décide en conséquence que « le corps humain est composé de quatre humeurs, le sang, la pituite, la bile et l’atrabile, et que Ta maladie résulte d’une altération des proportions harmonieuses du mélange de ces quatre éléments ».

Source: http://tunisdivagation.blogspot.com/

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