3 févr. 2010

Une Laïcité Française à Double-face

Il n’est pas lieu ici de discuter du sens ou de l’histoire du terme "laïcité", puisqu’il y a un minimum de signification partagé par tous les lecteurs, ne serait-ce que cette modeste notion de séparation des Eglises de l’Etat. Mais lorsque la laïcité devient institutionnelle, moyen de stigmatisation ou de diversions et d’infractions révélatrices de la part de l’Etat contre les musulmans, un arrêt s’impose.

Partant du fait qu’une république laïque se doit de préserver la sphère publique de toutes sortes de communautarismes, pour ne pas plonger dans un damier à cloisons étanches, et de la nécessité de permettre à tous les individus, en tant que citoyens et sans exception, de choisir leurs appartenances ou non-appartenances à tous les domaines et de pouvoir pratiquer librement leur croyance, il serait peut-être utile de souligner que depuis quelques décennies on assiste à des tentatives burlesques pour définir la laïcité et son dérapage pour l’affubler d’une suite d’épithètes à ne citer que la laïcité ouverte, plurielle, rénovée, apaisée, toilettée, pour aboutir à la fameuse laïcité positive, lancée par le Président de la République ! Inutile d’ajouter que tout cela dénote d’une certaine casuistique derrière laquelle on essaye de camoufler un retour indéniable à la présence de l’Eglise catholique dans la sphère de la République française, qu’elle n’a jamais quitté d’ailleurs, pour ne pas dire son ingérence claire et/ou masquée. C’est pourquoi citer les grandes dates semble nécessaire :

Sous la troisième République, la laïcité est devenue un moyen d’organisation de la société qui mène à la neutralité des pouvoirs spirituels et religieux par rapports aux pouvoirs politiques, administratifs ou civils, pour lutter contre l’influence du clergé, des mouvements et des partis religieux sur les champs publics. Elle est donc fondée sur le principe de séparation juridique des Eglises de l’Etat par la loi de 1905. Cette séparation a comme conséquence essentielle la neutralité de l’Etat en matière religieuse. Il n’y a donc aucune religion privilégiée, aucune hiérarchie entre les croyances. Car l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme (1789) institue la liberté religieuse et mentionne : "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses". De même, la Constitution française (1791) établit la liberté des cultes et accorde des droits identiques aux religions présentes à l’époque.

Un siècle plus tard, en 1881-1882, les lois Jules Ferry instituent l’instruction laïque gratuite et obligatoire. En 1905, la loi de séparation des Eglises de l’Etat précise en l’article 2 : "La République ne reconnaît, ne finance ni ne subventionne aucun culte". En 1959, la loi Debré accorde des subventions aux écoles privées qui sont sous contrat avec l’Etat. En 1989, la loi Jospin précise dans l’article 10 "que dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression".

Cette loi a permis la réalisation d’un pas concret contre la discrimination qui existait à l’encontre des français(es) qualifiés de "seconde zone" ou de "banlieusards", et a mené à l’apparition du foulard faussement nommé "islamique" dans les écoles, car en réalité c’est une obligation morale et non religieuse, le foulard pouvant être porté par une femme de n’importe quelle appartenance religieuse, tandis que la croix ne peut être portée que par une chrétienne, et la kippa ne peut être porté que par un juif. Quelques années plus tard, le 15 mars 2004, fut forgée une loi scandaleuse et discriminatoire réglementant le port de signes religieux "ostentatoires" à l’école pour contrecarrer l’enseignement des jeunes musulmanes. C’était la première fois que la pratique d’une obligation morale de l’Islam soit attaquée en France. Ce qui fait penser instantanément à la Reconquista lorsque l’Eglise catholique a interdit toute autre religion, car dénoncer le port du voile, du foulard ou quelque soit le nom qu’on lui donne, finira par aboutir à l’interdiction de toute pratique de l’Islam...

Là on ne peut que montrer combien la République se laisse nettement inféoder par la politique vaticane, à ne citer que l’exemple de l’enseignement que cette Institution a imposé en Ouganda. De pays à grande majorité musulmane, l’Ouganda eut sa classe dirigeante chrétienne après la colonisation. De parmi les nouveaux changements imposés, l’enseignement universitaire passa de la gratuité aux frais qui dépassent de loin les moyens d’une population qui crie misère. Pour seconder et favoriser l’implantation des sujets chrétiens comme cadres dirigeants, l’église assume les frais universitaires de ses adeptes, de sorte qu’il n’y a presque pas ou de rares agrégés musulmans. Comme résultat direct, la classe dirigeante et les hauts fonctionnaires du pays sont en leur immense ou totale majorité des chrétiens. Inutile d’aborder tout ce qui s’ensuit d’une situation aussi infâme, raciste et inhumaine. Malheureusement, la France, la fille aînée de l’Eglise va dans le même sillon en empêchant les musulmanes de suivre leur enseignement à cause d’une tenue de pudeur morale, pour ne pas dire à cause d’un morceau de tissu, et continue à agir avec cet arrière fond de pays colonisateur, souffrant d’un inconscient collectif où la subjectivité se mélange aux évènements historiques révélant à quel point la France possède un long passé de lutte et de guerre contre les peuples musulmans. N’est-elle pas à l’origine des trois croisades qui se sont soldées en échecs et en des frustrations face à l’Islam et aux musulmans, à quoi s’ajoute la colonisation de l’Algérie en 1830, les colonies d’Outre-Mer et la Campagne de l’Egypte qui perdurent sous d’autres formes et d’autres appellations, ? !

Une laïcité est supposée garantir la liberté de conscience. A ce titre, elle signifie que l’Etat ne peut pas imposer une religion, pas plus qu’il ne peut l’interdire : n’étant pas antireligieuse, elle est anticléricale, c’est-à-dire opposée à la domination des religieux, - ce dont la France a amplement souffert jusqu’aux pires des abus, d’où la loi 1905 était une nécessité, décrétée par un Congrès international tenu à Paris et précédé d’une suite de Congrès internationaux pour la même cause. La présence de l’Inquisition en Europe et surtout en France dès le XIII° siècle a laissé ses mémoires sanglantes. L’Edit de Nantes (1598) qui reconnaît la liberté de choix de la religion pour les français, succéda aux massacres de la Saint Barthélemy de 1572, journée au cours de laquelle 3500 personnes ont trouvé la mort pour leur foi.

En transcendant et en définissant les conditions de la libre affirmation des croyances et de leur coexistence pacifique, la laïcité doit être un facteur essentiel de la paix civile. Cependant, les détournements successifs de la loi 1905 révèlent tout une liste d’infractions, à ne citer à titre d’exemples : les vacances scolaires en France qui sont réglées sur les fêtes religieuses du christianisme ; les jours fériés aussi ; le denier de Saint Paul ; la non remise en cause du statut particulier de l’Alsace-Lorraine et de la Moselle, où les cultes reconnus par le Concordat ont un caractère public et les ministres des cultes reçoivent un traitement de l’Etat, où l’enseignement religieux est présent aux trois niveaux primaire, secondaire et supérieure. Ce qui veut dire que ni la laïcité ni la séparation de l’église et de l’Etat ne s’appliquent dans ces départements. Pour ne rien dire de la présence du crucifix dans les écoles publiques, certaines cliniques ou hôpitaux, de l’octroi de subventions publiques et à des déductions fiscales en faveur de l’Eglise catholique et à la défiscalisation complète des curés, ou encore la mise en berne des drapeaux sur les édifices publics pour la mort du Pape Jean-Paul II, et surtout le décret du 16 avril 2009 entérinant l’accord entre la République française et le Saint-Siège (du 18.12. 2008) relatif à la reconnaissance des grades et des diplômes dans l’enseignement supérieur qui constitue une atteinte au principe de laïcité. Car selon cet accord, les diplômes délivrés par les instituts d’enseignement supérieur contrôlés par le Vatican seront reconnus en France au même titre que les diplômes délivrés par les universités publiques. L’article premier de l’accord définissant son objet entre la République française et le Vatican est très clair en parlant de réciprocité ! La toute récente infraction : le lancement du premier mensuel catholique gratuit en France intitulé L’Invisible. Son premier numéro (février 2010) a été tiré à 200 000 exemplaires, représente une nette violation de la dite laïcité. Visant à faire découvrir l’univers du christianisme (la foi, l’Eglise, la culture), L’1visible sera disponible, selon la réclame qui l’accompagne, dans des lieux de passage pour toucher le maximum de personnes (grandes surfaces, gares, aéroports mais aussi dans la rue, les boîtes aux lettres et dans les paroisses). « Dans un monde qui arrive au bout de sa logique matérialiste ne faut-il pas laisser les questions spirituelles s’inviter dans l’espace public, d’une façon simple et décomplexée ? » poursuit l’annonce qui vise la réévangélisation de la France. Acte de prosélytisme flagrant qui ne peut être réalisé sans le consentement officiel de la République. Mais la liste ne s’arrête pas là. Bien que la Constitution de 1946 définie la France comme étant une "République démocratique, sociale et laïque", le 13 juin 2006 le Conseil de Paris a voté que la place publique du parvis de Notre-Dame soit dénommée "Notre-Dame place Jean-Paul II". Le 3 septembre 2006, Delanoë, le maire de Paris, ès qualité, et les cardinaux Vingt-Trois et Lustiger, ès qualité, ensembles tous les trois ont inauguré la nouvelle place dans une cérémonies officielle, ce qui est une violation flagrante de la dite laïcité. Faut-il rappeler la longue marche obstinément déclarée de ce Jean-Paul II pour l’évangélisation du monde, y compris d’imposer le catholicisme en France avec son exclamation : "France, souviens-toi de ton baptême" ! Exclamation qui sera développée et enfoncée par son successeur avec sa fausse qualification de " racines chrétiennes de l’Europe" car les racines de l’Europe ne sont pas seulement chrétiennes car l’Islam y participa le long de huit siècles. Dans une société multiculturelle et laïque, il est absurde et irresponsable d’imposer une seule spiritualité. Et la liste des infractions continue :

Lors de son discours au Vatican, le 20 décembre 2007, Nicolas Sarkozy qui recevait son titre de Chanoine Honoraire de l’Eglise Saint-Jean-de-Latran, porta largement atteinte à la sainte laïcité en citant l’encyclique Spe Salvi sur l’espérance de Benoît XVI, puis en avouant que "l’homme qui croit, c’est l’homme qui espère, et l’intérêt de la République c’est qu’il y ait beaucoup d’homme et de femmes qui espèrent" ; que "l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur" ; que "la morale religieuse et la morale laïque sont complémentaires"… Président d’un Etat officiellement laïque, ou de la République la plus laïque au monde, il n’a pas le droit, sur le plan de la légalité constitutionnelle, d’afficher ostensiblement ses convictions personnelles, étant sensé représenter tous les français, ni de hiérarchiser ses options confessionnelles, ni de se laisser confiner dans un rang hiérarchiquement subalterne à celui du Pape ! Cela n’empêche que cet éloge déclaré du christianisme tient non seulement du prosélytisme, mais semble ignorer, en couvrant de louanges, la page noire sombre du Clergé dans son alliance avec la monarchie absolutiste et l’épopée sanglante du colonialisme.

En réponse, Benoît XVI invite les responsables politiques croyants à rendre manifeste la foi qui inspire leur action. Fort d’un passé que nul n’ignore, la mainmise de l’Eglise Romaine en France qui atteint son apogée au Moyen-âge avec le Saint-Empire Romain-Germanique qui, lorsqu’un empereur voulu se rebeller, deviendra proverbial en allant à Canossa où il fut laissé trois jours sur la neige comme signe d’humiliation. A la chute de l’Empire Romain, l’Eglise catholique s’empare de tous les pouvoirs temporels et spirituels, possède terres et richesses, mais surtout s’accapare la pensée des hommes et la dirige avec un obscurantisme tenace, soutenu par l’Index (catalogue des livres interdis), promulgué par le Concile de Trente en 1563 et qui ne sera annulé qu’en 1965, oui, en mille neuf cent soixante cinq, et par la condamnation des droits de l’homme en 1864 avec le Syllabus. Il faudra attendre jusqu’à la Renaissance pour que des voix osent commencer à s’élever.

Cependant, le défi le plus éclatant du Pape fut sa fameuse conférence à Ratisbonne, une conférence qui vise à la reconquête de l’Europe, menacée dit-il, de l’Islam et de l’éloignement du religieux, oubliant que l’Islam a été diabolisé à l’échelle internationale par la politique étasunienne qu’il appuie intensément. En ayant recours à un énoncé qui manque de véracité, datant du XIV° siècle et écrit de mémoire en une époque de prosélytisme chrétien, pour servir d’un vrai réquisitoire anti-musulmans, il accrédite la diabolisation de l’Islam, mettant en relief Terreur, Terrorisme et Terroristes, et se lance en même temps à célébrer les vertus du christianisme élevé sur la raison ! Fuite de mémoire ou manque de connaissances ? Il est décevant de voir le Chef de l’Eglise, menant sous sa baguette plus d’un milliard et demi d’adeptes, qui ignore les cruautés et les oppressions meurtrières commises par son Institution. Lorsqu’on passe en revu tant de siècles de massacres, ayant éliminé des millions de personnes par un christianisme sanguinaire, autoritaire et obscurantiste, puis le voir qualifié de "mariant le meilleur de la raison au meilleur de la foi", on ne peut que voir clairement la visée d’une telle attitude, le véritable but de cette conférence : lancer une nouvelle croisade contre l’Islam et la rechristianisation de l’Europe, à commencer la France, la fille aînée, en drapant le catholicisme de tous les honneurs de la raison.

C’est à une vraie croisade européenne et mondiale contre l’Islam que le Vatican s’évertue et se comporte. Il suffit de penser à tous les Congrès, Colloques et Synodes, entrepris surtout après Vatican II et son inébranlable volonté d’évangéliser le monde, pour consolider son impitoyable mainmise, à ne citer que le Synode de l’Afrique, en 2009, et celui du Moyen-Orient prévu pour le mois d’octobre prochain.

Face à tant de haine façonnée et imposée avec préméditation, face à cette volonté de fer d’éradiquer l’Islam et les musulmans, sous prétexte de sa "menace", on ne peut que souligner d’abord que l’Occident chrétien ne s’est pas éloigné de sa religion à cause de l’Islam, mais parce qu’il a découvert depuis le siècle des Lumières, et bien avant, toutes les manipulations et les contrefaçons qui ont façonné ce christianisme imposé au fil de l’épée. Découverte qui va s’accentuant de la part de ses propres adeptes à commencer par les pères de l’Eglise.

En essayant de voir ou de trouver la raison de cette "menace", de tant de haine ou d’animosité, on ne peut que présenter cet Islam en quelques phrases et mettre en relief ses composantes pour voir si vraiment il est formé de Terreur et de Terrorisme :

L’Islam est la seule religion parmi les monothéismes à rester intact, tel qu’il fut Révélé. C’est une Religion intégrale, qui ne connaît point de dogmatisme irrationnel, qui traite de tout ce qui concerne la société humaine, comprenant des directives cultuelles, sociales, économiques, politiques et militaires. L’Islam est une Religion et un Système social, intrinsèquement liés en une juste mesure ; une légifération Divine générale et un mode de vie, qui mettent l’accent sur des principes fondamentaux, immuables, qui régissent la vie de l’homme dans ses deux secteurs : le spirituel et le matériel. C’est une mouvance à l’intérieur d’un règlement stable, autour d’un pivot stable : Le Qur’ân. Cette stabilité vient du fait que ces règlements ne changent point avec le changement des "aspects" de la vie réaliste ou des positions pratiques, car tous ces changements demeurent régis par les valeurs stables, immuables, des règles dont la stabilité est l’essence même de l’Oeuvre Divine. C’est juste le contraire de "fixité".

Il représente en fait une alternative à la grande déception que vit l’Occident chrétien. Car l’Islam et le seul parmi toutes les religions qui a la caractéristique de gérer les relations entre les individus eux-mêmes dans une société, sans distinctions entre les croyances qui la composent. Il reconnaît le libre arbitre individuel, et chaque musulman qui a en mains le Texte qui lui montre le bien et le mal, le licite et l’illicite, n’a de comptes à rendre à personne d’autre qu’à Dieu, c’est pourquoi la pudeur est une qualité essentielle de l’Islam, la pudeur sous toutes ses formes et toutes ses applications.

Est-il lieu d’ajouter un mot à la République française : un peu de pudeur fille aînée de l’Eglise, "au lieu d’attiser la haine et les préjugés antimusulmans, comme dit le New York Times le 27.1.2010, au lieu de surenchérie et de jeter de l’huile sur le feu, applique tes préceptes acquis au prix du sang et de la vie de milliers de tes militants, applique à juste titre la Liberté, L’égalité et la Fraternité parmi tous tes citoyens sans la moindre discrimination. C’est alors seulement que ta laïcité sera une, intégrale et respectable.

Source: http://www.liberation-opprimés.net

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