26 août 2011

Ramadan et productivité

Par Bader Lejmi -

Le Ramadan est LA pratique religieuse la plus populaire parmi les musulmans en plus d’être un des cinq piliers de l’Islam. C’est donc LA pratique par excellence qui permet de distinguer et d’identifier avec le plus de certitude le ou la musulmane attaché à sa religion sans beaucoup d’efforts. Lorsqu’on s’attaque au Ramadan en prétextant qu’il rend improductif, c’est en réalité, à l’Islam qu’on s’attaque. L’Islam moins le Ramadan n’est rien de moins qu’un fantasme taillé sur mesure par les islamophobes. Si le Ramadan est un pilier de l’Islam, alors la ramadanophobie est un pilier de l’islamophobie ! Nous connaissons tous les dénigrements du Ramadan. Mais il en est un qui est à la fois plus subtil et pernicieux que les autres. Celui prétendant que le Ramadan rend improductif. Et s’il est aussi pernicieux, c’est parce qu’il a été repris par des musulmans contre d’autres musulmans et qu’il est l’excuse qui semble la plus solide pour ne pas jeûner.

Le Ramadan revu et innové par Habib Bourguiba


En 1960, Habib Bourguiba, premier dictateur de la jeûne République Tunisienne, avait bu un verre de jus d’orange à la télévision durant le jeûne du mois de Ramadan. Il avait commandé une fatwa rendant licite de ne pas jeûner pendant le mois de Ramadan. Fatwa que l’imam de la République, Cheikh Tahar Ben Achour, a refusé de cautionner. Bourguiba est allé beaucoup plus loin, il a poussé l’absurdité jusqu’à décréter qu’il s’agissait là d’un Jihad du développement visant à contrer le retard économique. Ce sous-développement viendrait de l’archaïsme de l’islam qu’il faudrait moderniser ! Le mois de jeûne du Ramadan est un coupable tout trouvé. Il nous rendrait faibles, improductifs pendant la journée et nous appauvrirait…

Pour contredire ce raisonnement absurde, nous ne chercherons pas à prouver le contraire, c’està- dire que le Ramadan augmente la productivité. Voilà quelques exemples qui vont tout de même dans ce sens : le fait que l’on préfère travailler pendant le jeûne plutôt que de ne rien faire, que l’on ne prenne ni pause déjeûner, ni pause café, ni pause clope et que l’on ne soit pas assoupi par la lourdeur du déjeûner. Cependant, prouver le contraire est une démarche de justification qui laisse intact le présupposé islamophobe selon lequel le Ramadan doit être productif pour être légitime. Nous tâcherons au contraire de nous en prendre à la racine de l’islamophobie. D’abord il nous faut comprendre la peur spécifique que produit le Ramadan : la ramadanophobie. Ensuite en quoi la ramadanophobie est une merveilleuse illustration de l’islamophobie. Enfin pourquoi la meilleure manière de lutter contre l’islamophobie durant ce mois de Ramadan est encore de vivre intensément ce mois de jeûne, de prières et de savoir.

La ramadanophobie, un des 5 piliers de l’islamophobie

Le terme « ramadanophobie » est un barbarisme. Non, un barbarisme n’est pas un mot inventé par un barbare, bien qu’en l’occurrence il s’agisse d’un Musulman… Dans le dico, barbarisme c’est un néologisme involontaire et s’il est involontaire, c’est parce que j’aurais préféré ne pas l’inventer ! Ce barbarisme ne désigne pas la haine ou la peur envers Tariq Ramadan – encore qu’elle me semble au moins aussi importante en France que la peur du Ramadan. Ce barbarisme désigne la très civilisée phobie du mois de jeûne de Ramadan.

Le Ramadan empêcherait de travailler correctement. La faim, la soif nous en empêcherait. L’idée sous-jacente est que l’humain a des besoins naturels primordiaux, selon bien connue la pyramide de Maslow, qu’il doit impérativement assouvir pour réaliser une activité. Or nous jeûneurs, l’avons tous expérimenté, le Ramadan nous prouve justement que les sensations de faim, de soif sont tout à fait subjectives. Si boire de l’eau est bien un besoin, il y a boire et boire… Ce mois béni nous apprend que la soif ou la faim est en grande partie psychologique et ne correspond que peu à un réel besoin naturel. Sans compter que les festins que nous nommons impudiquement shour et ftour, les journées où nous jeûnons à l’ombre d’un climatiseur ne méritent probablement pas le nom béni de jeûne du Ramadan. Surtout si on les compare avec les conditions dans lesquelles on jeûnait pendant le mois de Ramadan du temps du prophète Mohammed ibn Abdallah, salallahi wa alyhi wa salaam (Que la paix et la bénédiction d’Allah soient sur lui) et de ses compagnons, radi Allah anhou (qu’Allah les agrée). Ainsi, le jeûne nous permet de nous rendre compte que ces désirs de faim, de soif etc. sont un conditionnement social, culturel et moral. La société moderne de consommation s’acharne à transformer en besoin tout désir pouvant être comblé par une offre commerciale. Le désir de se rapprocher de Dieu qui n’a encore que peu de débouchés commerciaux en France est ainsi mal vu. Derrière la peur du Ramadan, se tapit une soumission totale à ce conditionnement.

L’autre grande peur des ramadanophobes est que s’il est possible de travailler et de jeûner, alors c’est que les pauses déjeûner, café et bien d’autres ne sont pas nécessaires et pourraient nous être retirées ! Les collègues de travail, les camarades de cours, qui s’inquiètent de votre santé durant le Ramadan me font penser à ceux qui s’inquiètent pour vous lorsque vous allez travailler alors que vous êtes enrhumé. Ce qu’ils se disent sans oser vous l’avouer c’est que si vous allez travailler bien que malade, eux aussi devraient le faire, il devient alors impératif de vous encourager à prendre un congé maladie pour le moindre petit rhume et ça dans l’espoir de conserver leur droit effectif à prendre un congé maladie sans se faire mal voir de sa hiérarchie ! L’implicite de cette réflexion c’est que nous n’aurions des droits que parce qu’ils nous rendraient plus productifs. Cette ramadanophobie se base sur une certaine forme de lâcheté, au lieu de se battre pour ses droits, on préfère rogner ceux de ses voisins pour préserver les siens !

La productivité contre le Ramadan, une preuve de l’islamophobie


Contrairement à nous qui vivons dans des pays d’opulence, la plus grande partie de l’humanité fournissant la majorité du travail dans le monde éprouve tous les jours la faim et la soif. Pourtant on considère cette majorité comme moins productive que la minorité de citoyens des pays occidentaux, alors que non seulement elle travaille plus en durée, mais elle produit aussi plus ! Alors… comment est-ce possible ? En ces temps de crise, un peu d’analyse économique et politique ne nous fera pas de mal…

La productivité ce n’est pas la quantité de travail produite. Ce n’est même pas la quantité de travail produite pendant un laps de temps donné. La productivité du travail c’est la somme de la valeur ajoutée du travail produit sur le temps passé à le produire. La distinction est très importante entre quantité et valeur. 1 kg de pommes ne valent pas 1 kg de fraises. Votre productivité dépend donc de la valeur de ce que vous produisez.

La productivité est si importante dans nos sociétés qu’elle permet de justifier à peu près tout et n’importe quoi. Forte, elle justifie d’une augmentation de salaire à une promotion. Faible, elle justifie d’un licenciement jusqu’à l’abandon pur et simple du Ramadan, pilier de l’Islam ! Cette importance tient au fait que notre valeur pour le Système se résume le plus souvent à la valeur de ce que nous lui apportons. Mais il est des gens pour qui ce qu’ils sont détermine la valeur de ce qu’ils font. Il leur suffit d’être « quelqu’un » pour que faire « quelque chose » ait de la valeur. Ils choisissent de faire ce qui est le plus valorisé, et valorisent ce qu’ils choisissent de faire par leur seule présence *(1). Nous valons ce que nous faisons tandis qu’eux valorisent ce qu’ils font ! N’est-ce pas la preuve que c’est avant tout le statut social qui détermine la valeur de ce que l’on fait et donc notre productivité ? Si vous n’êtes pas convaincu, disons le autrement : le fait que nous soyons réduits à dépendre de notre productivité est la preuve de notre oppression.

« Quand on aperçoit dans son immédiateté le contexte colonial, il est patent que ce qui morcelle le monde c’est d’abord le fait d’appartenir ou non à telle espèce, à telle race. Aux colonie s, l’infrastructure économique est également une superstructure. La cause est conséquence : on est riche parce que blanc, on est blanc parce que riche. C’est pourquoi les analyses marxistes doivent être toujours légèrement distendues chaque fois qu’on aborde le problème colonial » – Frantz Fanon, Les Damnés de la Terre, 1961

C’est pourquoi lorsqu’ils disent qu’un musulman pratiquant le Ramadan est moins productif, ils n’ont pas tout à fait tort. Si nous sommes moins productifs, ce n’est pas de la faute du Ramadan mais du statut de l’Islam : sa valeur pour le Système. Or les pays, peuples et communautés d’Islam sont colonisés, postcolonisés ou néocolonisés. C’est ce statut de Colonisé qui fait que la valeur de ce que les musulmans produisent est considérée inférieure et non pas le fait de suivre sa religion en pratiquant le Ramadan.

Qu’est-ce que tu me racontes là ? L’Islam n’est pas colonisé, il n’y a pas de colons en Islam ! Si l’Islam n’est pas une colonie de peuplement, les musulmans sont dominés par l’Occident. Nous le sommes économiquement, mais aussi religieusement, culturellement et politiquement. Pire que dominés, nous sommes aliénés, c’est-à-dire que nous considérons que ce qui vient d’Occident a nécessairement plus de valeur. Et même quand nous rejetons l’aliénation, que nous nous affirmons, nous restons tout de même dépendants. Par exemple le prix de ce que nous leur achetons et de ce que nous leur vendons est fixé par les marchés occidentaux. Un lieu aussi emblématique que Mekka en est une belle illustration. Les avions que nous utilisons pour aller au Hajj, la technologie et l’infrastructure derrière le Hajj ce n’est pas nous qui les produisons, nous l’importons de chez les non-musulmans. Nous sommes dépendants de l’Occident au coeur même de cet autre pilier de l’Islam qu’est le Hajj. Et puis, nous ne sommes pas souverains, c’est-à-dire que nous ne sommes pas maître de notre destin*(2), nous devons obéir aux directives venues d’Occident, autrement connu sous le nom de « communauté internationale » ou de « valeurs universelles ». Et nous devons sans cesse nous justifier de tout ce que nous pensons ou faisons en tant que Musulmans ou au nom de l’Islam. Sinon on nous réprime au nom de la laïcité ou du sécularisme pour toutes les fois où nous osons exister dans la sphère publique, politique, en tant que Musulmans et Musulmanes. Ce sont ces domination, aliénation, dépendance, contrôle et répression qui font que l’on peut dire que les nations, peuples, communautés et civilisations d’Islam sont colonisées.

C’est d’ailleurs islamophobe que de juger le Ramadan en fonction de la productivité. Conditionner la liberté de culte à quoi que ce soit, ici le travail, est typique de l’islamophobie. Les pratiques des autres religions occidentales, les religions judéochrétiennes*(3), ne subissent pas ce contrôle et cette répression. Noël, une fête où l’on offre des cadeaux souvent inutiles à des enfants qui n’en feront rien de productif n’est-elle pas complètement improductive ? Enfin, de qui la productivité sert-elle les intérêts si ce n’est des patrons ? Et ces patrons, s’ils sont musulmans décomplexés, ne mettraient-ils pas le respect du Ramadan avant la productivité ? Et, puisque la productivité est utilisée contre le Ramadan cela prouve donc que soit que les Musulmans ne sont pas leurs propres patrons – et donc pas souverains – ou soit que les patrons Musulmans sont aliénés… La subordination du Ramadan à la productivité est donc un bel exemple de notre statut de colonisé en tant que Musulmans, y compris en France hexagonale.

Vivre le Ramadan, Vaincre l’islamophobie


La productivité est, on l’a vu, une notion tout sauf neutre. Conditionner le Ramadan à la productivité fait du Musulman un serviteur du Système. Or n’est-ce pas absurde puisque Musulman signifie précisément soumis à Allah sans association aucune ! Or nous voilà soumis à un autre que Lui, ce qui est fort ennuyeux… Dans ce genre de situation d’oppression, la sunnah du prophète (saws) nous indique que « celui qui d’entre vous aperçoit une chose répréhensible qu’il la redresse de la main; s’il ne peut pas, de sa langue; s’il ne peut pas, de son coeur; cette dernière attitude constituant le degré le plus faible de la foi »*(4). Pour défendre le Ramadan, nous avons donc trois outils : le coeur, la langue et la main. Si vous avez commencé la lecture cet article c’est que la foi et la lumière contenues dans votre coeur suffisent à emporter votre conviction subhanAllah. Après avoir lu les deux premières parties et d’après l’expérience qui est celui du jeûneur dans l’un des leaders mondiaux de l’islamophobie : la France*(5), du côté de la langue vous devez être costaud. Il ne reste donc plus que la main, c’est-à-dire l’action. Pour ça, je vous propose tout simplement d’être productif.

Quoi comment ça ? Tu nous a bassinés depuis le début de cet article pour dire combien la productivité c’était islamophobe, tu te contredis tout le temps ! Doucement, il y a productivité et productivité. Ce que je vous propose c’est d’être un Musulman productif, c’est à dire d’être productif dans votre soumission exclusive à Allah. Et comme on l’a vu être productif c’est une question de valeur au regard du Système. Quand on se soumet à Allah, le système, le dîn, c’est l’Islam. Pour accroître votre productivité durant le Ramadan, ce mois de jeûne, de prière,de générosité, de pardon et du Coran il suffit donc de suivre les préceptes de l’Islam selon nos savants.

Profitons en pour méditer sur les raisons d’être de l’islamophobie sans réduire notre identité de Musulman à cette lutte contre l’islamophobie. La plus grande des luttes étant celle contre l’ego (Jihad An-nafs). Avec un coeur raffermi par la foi, une langue bien pendue et deux mains promptes à se prosterner, je pense que nous finirons un Ramadan des plus productifs inchaAllah.

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*(1) Comme quand les bobos envahissent nos quartiers et que les prix de l’immobilier flambent. Des boutiques « super sympas » aux prix exorbitants s’installent. Nous sommes alors forcés de plier bagages alors qu’eux, au contraire, sont attirés par la hausse du prix de l’immobilier et le nombre croissant de boutiques « super sympas ». Le quartier prenant de la valeur, il attire des gens de valeur qui à leur tour feront croître sa valeur ! Ce qui est valable pour le prix au m² dans l’immobilier est aussi vrai pour la productivité du travail.
*(2) « L’humain a par devant lui et derrière lui des Anges qui se relaient et qui veillent sur lui par ordre d’Allah. En vérité, Allah ne modifie point l’état d’un peuple, tant que les ceux qui le composent ne modifient pas ce qui est en eux-mêmes. Et lorsqu’Allah veut infliger un mal à un peuple, nul ne peut le repousser: ils n’ont en dehors de Lui aucun protecteur. » Essai de traduction du verset 11 de la sourate 3 du Coran
*(3) Christianisme Romain et Réformé ainsi que le Judaïsme Sioniste
*(4) Rapporté par Abû Sa’id al Kudri, rahi Allah anhou
*(5) Je mets Israël, l’Etat sioniste, en deuxième position sur cette liste. Faut dire, le hijab est autorisé à l’école. Mis à part ça, c’est tout de même un régime sacrément détestable.

Source : http://www.al-har.fr/blog/2011/08/21/ramadan-et-productivite/

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