9 août 2010

Musulmans : une communauté sous surveillance

Aujourd’hui, premier opus d’une enquête en trois volets
sur l’après 11 Septembre dans la «capitale Arabe de l’Amérique» : Dearborn.

Visage femme drapeau
Demandez autour de vous, demandez à n’importe qui dans le monde : chacun se souvient exactement ce qu’il faisait le 11 septembre 2001, quand deux avions ont frappé les tours du World Trade Center. Et le 12 septembre ? À Dearborn, petite ville du Michigan qui abrite l’une des plus importantes communautés arabo-musulmanes (1) des États-Unis, on a gardé la mémoire des jours qui suivirent avec la même acuité, comme l’aube d’une époque où plus rien ne serait comme avant.

L’imam Steve Mustapha Elturk se remémore sa fille, à qui «une femme a demandé de retirer son hijab ou de retourner dans son pays… alors qu’elle est née ici», sa salle de prière, «dont les vitres ont été brisées», et contre laquelle «des œufs ont été jetés». «J’ai dû appeler la police pour demander leur protection», se souvient-il. «La communauté a été considérablement affectée, résume-t-il. D’emblée, on nous a montrés du doigt.»

Dawud Walid, président du CAIR-Michigan (Council on American- Islamic Relations), estime que depuis 2001, les violences et les discriminations contre les Arabes Américains sont en augmentation constante de 75% par an dans l'État. Il cite «les actes de vandalisme contre les voitures, les maisons, les railleries contre les femmes portant le hijab, les discriminations à l’embauche…»

À Dearborn, on estime toutefois que le pire a été évité. Chacun ici se souvient qu’au plus fort de la poussée de fièvre islamophobe qui s’est emparée d’une partie du pays, deux sikhs furent tués par des extrémistes. Comme pour souligner l’épaisseur des préjugés qui circulaient alors, les assassins s’étaient apparemment dit que des barbus enturbannés ne pouvaient être que musulmans…

Manif muslims anti terrorisme
Ici, pas de mosquée incendiée non plus, comme cela a pu se produire ailleurs dans le pays. Sally Howell, co-auteure d’un livre sur le sujet (2), rappelle que l’attitude ferme des autorités locales y fut pour beaucoup. «Dès le 11 Septembre, souligne-t-elle, le sheriff du comté s’est assuré que chaque mosquée était protégée. Chaque maire, chaque officiel, est venu réaffirmer publiquement que les musulmans étaient des membres à part entière de la communauté, et que rien ne leur serait fait.»

Pourtant, quelque chose a bien changé. «Depuis le 11 Septembre, explique Andrew Shryock, spécialiste de l’Islam, chaque musulman se doit constamment d’apporter la preuve, encore et encore, qu’il est un bon citoyen américain.» Et comment apporte-t-on la preuve qu’on est un bon citoyen américain ? En portant haut et fier les couleurs du pays.

«Le 12 septembre 2001, les rues et les maisons de Dearborn étaient pavoisées de drapeaux américains. On se serait cru un 4 juillet !, se remémore Andrew Shryock, qui poursuit : D’autres se faisaient tatouer la bannière étoilée sur le corps… Si une jeune fille portant le hijab dans un stade le jour du Super Bowl se mettait à chanter l’hymne national, ça aussi c’était bien vu… On a également vu de nombreuses campagnes de recrutement pour l’armée dans les voisinages musulmans.»

Femme muslim drapeaux
Surtout, la communauté musulmane est dorénavant, plus que jamais, dans le collimateur des services secrets. Si la CIA a lancé plusieurs campagnes publicitaires très ciblées à la télévision et recrute à Dearborn de façon ouverte depuis plusieurs années pour le besoin de ses opérations à l’extérieur, le FBI, lui, opère dans l’ombre.

Dawud Walid tient à mettre les choses en perspective : «Bien sûr que le FBI infiltre nos mosquées. Ces pratiques ne sont pas nouvelles. Des leaders politiques et religieux comme Martin Luther King ou Malcom X, à leur époque, étaient constamment espionnés… Nous n’avons aucun problème avec le fait que des gens nous surveillent.»

Cette attitude de défi est très répandue parmi les Imams et les leaders spirituels de la communauté. À Dearborn, nombre de mosquées ont réagi à ce regain d’intérêt à leur endroit en jouant le jeu de l’hyper-transparence. Sally Howell explique par exemple que «de nombreux lieux de prières se sont équipés de caméras», et que «les sermons y sont systématiquement enregistrés», afin de pouvoir apporter la preuve, le cas échéant, de leur «bonne foi».

L'Islamic Center of America illustre parfaitement cette volonté de transparence et d’ouverture. Sa mosquée, l’une des plus grandes d’Amérique du Nord, s’est dotée d’un chargé de relations publiques, poste qu’occupe Eide A. Alawan depuis quatre ans et demi à titre bénévole.

Jeune fille muslim drapeau
«Depuis le 11 Septembre, explique ce dernier, mi peiné, mi amusé, nous avons chaque jour des gens qui viennent nous demander si l’Islam est une organisation terroriste... et pourquoi est-ce que les musulmans tuent d’autres gens... et que veut dire le mot "Jihad"»… Avec des trésors de diplomatie, Eide s’emploie donc à répondre à ces questions. La mosquée organise également des expositions pour expliquer ce qu’est l’Islam, publie livres, DVD et brochures, a ouvert un site Web, et tient à garder ses portes constamment ouvertes à tous les curieux.

«Est-ce que nous sommes surveillés ?» fait mine de s’interroger Eide A. Alawan. «Oui.» «Est-ce que ça me dérange ? – Non. Nous n’avons rien à cacher.» Il va plus loin «Si demain j’avais la conviction que mon propre frère veut intenter à la sécurité du pays, je n’hésiterais pas à le dénoncer aux autorités. Parce que dans ce pays, explique cet homme dont les ancêtres se sont installés en 1910, nous avons des droits, y compris religieux, qu’on ne nous donnerait pas dans nos pays d’origine.»

À suivre…

(1) D’emblée, une précision s’impose : beaucoup d’Arabes à Dearborn ne sont pas musulmans, et vice-versa. Cette communauté est d’une grande diversité : chrétiens (chaldéens, coptes, maronites), musulmans d’Orient et de la Péninsule Arabique (Turcs, Libanais, Syriens, Palestiniens, Yéménites), d’Asie (Indiens, Pakistanais, Bangladais), d’Europe (Polonais, Albanais, Bosniaques), d’Afrique, et Afro-Américains.


Source: blog.lefigaro.fr

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