30 juin 2010

Niqab au volant ou comment saisir l'opinion

Recueilli parAgnès CLERMONTet Marylise COURAUD

Hier, au tribunal de police, la jeune Nantaise contestait son PV pour avoir conduit voilée. L'occasion de revenir à contre-temps sur les mécanismes d'une tempête politico-médiatique. Lire aussi page 5.


Entretien

Jean Danet, chercheur en droit

En plein débat sur le voile, un couple conteste publiquement un PV, un ministre embraye. Et comment a-t-on pu en arriver à la question de la polygamie ?

Dès le départ, on a quitté le champ du droit pour être dans celui du politique. Le ministère de l'Intérieur a décidé de faire de cette affaire un exemple. Logiquement, la mise en cause de Lies Hebbadj tourne le dos à la présomption d'innocence. Il est soupçonné de polygamie (NDLR : ce qui s'avérera infondé) et le ministre Hortefeux étudie la possibilité de lui ôter la nationalité française. On comprend rapidement où le pouvoir politique veut en venir. Il vise en réalité une structure familiale, liée à une culture religieuse, qu'il appelle la polygamie de fait. On est sur une question de mode de vie jugé inassimilable, non souhaitable, qu'il convient d'exclure.

Y a-t-il eu des dérapages ?

En parlant de polygamie de fait, le ministre incrimine publiquement quelqu'un pour un délit qui n'existe pas encore. Or, on ne peut être puni pour quelque chose qui n'est pas interdit. C'est la garantie de l'égalité devant la loi, la garantie contre l'arbitraire.

Autre étrangeté : dans cette histoire, les investigations ont été menées au grand jour. Le secret de l'enquête a été pulvérisé, quand bien même il concernait la vie privée. Ainsi, le nom de la jeune femme verbalisée au volant a été livré par les autorités, alors qu'elle souhaitait garder l'anonymat... D'ordinaire pourtant, un allocataire qui fraude la caisse aux allocations familiales, ça n'intéresse personne : le retentissement de ce fait-divers n'a pas grand-chose à voir avec la gravité objective des faits reprochés.

Alors pourquoi une telle effervescence ?

Plus que jamais, l'affaire Lies Hebbadj s'est emballée à un rythme effréné. Le temps médiatique est réduit à l'instant T, celui de la réflexion à la portion congrue. Tout se passe en temps réel, ça flambe parce qu'aujourd'hui, grâce à Internet, il est facile de récolter tout un tas d'informations sur la vie privée des gens. C'est sans doute l'émergence d'une dérive qu'on verra de plus en plus. D'ailleurs, une fois n'est pas coutume, le ministre lui-même a invité chacun à consulter un blog accusateur tenu par une ancienne compagne d'Hebbadj.

La question de la « polygamie de fait » ne vaut-elle pas un débat ?

On incite les gens à se faire une opinion. On pourrait presque dire qu'il s'agit d'une enquête d'opinion qui intervient à un moment où la société s'inquiète à propos de la pluralité des formes familiales et des fondamentalistes. Un homme avec plusieurs femmes, avec l'idée du mariage religieux, ça ne passe pas. Et le tout dans un contexte lié à l'Islam. Avec un tel traitement politique, médiatique, judiciaire, policier, on prend le risque de créer des boucs émissaires. D'autant plus que Lies Hebbadj, marginalisé dans sa propre communauté, est une cible facile.

Source: http://www.ouest-france.fr/

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