18 mai 2010

QUAND LE GOUVERNEMENT JOUE SUR L’INSECURITE LEGISLATIVE

Par Abd al Hakim CHERGUI

Dans ce qu’il est de plus essentiel, tout système juridique a pour vocation de réguler les relations sociales des individus qui composent la société sur laquelle il s’exerce. Par ses prescriptions et ses interdits, tout autant que par ses silences. Il permet ainsi à toute personne de connaître avec exactitude, et sans être discriminé, le périmètre de ses possibles.

La Loi, qualifiée autrement de norme générale et impersonnelle, en est l’expression la plus achevée. Et, signe de son importance, c’est seulement parce que nul n’est censé l’ignorer que nous sommes tous responsables devant elle de nos actes et de nos comportements. Plus précisément, en termes canoniques, toute règle de droit se voit contrainte, sous peine d’invalidité, d’être à la fois accessible, prévisible et suffisamment intelligible pour permettre à n’importe quelle personne de fixer sa conduite en conséquence. L’intransigeance, ici, est de taille, la sécurité juridique est sacrée : sans ces attributs, il ne saurait y avoir de loi.

Énoncer ces principes n’est ni anachronique ni inutile. Aujourd’hui plus qu’hier, en ces temps d’incertitude législative, seuls ces principes nous permettent de conserver la lucidité de ne pas nous égarer dans d’aguicheuses considérations politiciennes, pré-électoralistes au possible, sorte de tout-venant partisan teinté de démagogie préventive. Et ici plus qu’ailleurs, s’agissant du terrain des libertés publiques et des droits humains, seuls eux disposent de la légitimité nécessaire pour affermir notre conviction qu’il existe, au-delà de nos petites peurs et de nos détestations les plus fortes, des piliers communs qu’il serait dangereuxl, parce qu’ils nous abritent tous, d’ébranler.

L’actuelle passe d’arme entre le Gouvernement et le Conseil d’État au sujet d’une loi d’interdiction générale du voile intégral nous en fournit une illustration opportune.

Arrêtons-nous-y.

Le fond du débat est intéressant. Tout autant que les pistes de réflexion qu’il nous suggère, Rappelons au préalable que cette opposition fut le fruit de la saisine du Conseil d’État (qui depuis la réforme constitutionnelle de 2008 est également le conseil du Parlement) par le Premier ministre afin d’examiner les différents fondements juridiques à une interdiction, « la plus large possible » fut-il clamé haut et fort, du voile intégral. Rendu le 25 mars dernier, son « avis », ainsi nommé parce qu’il ne lie pas le décisionnaire politique (à la différence d’une décision juridictionnelle comme un arrêt ou une ordonnance), se situe clairement en porte-à-faux par rapport aux intentions publiquement affichées par le Président de la République. On s’y attendait. L’analyse juridique qui y présentée s’inscrit dans la tradition classique : faute d’un fondement « suffisamment solide », et probablement impossible à appliquer, toute loi portant une prohibition générale et absolue serait « très fragile juridiquement ».

Cela n’a pourtant pas freiné la riposte gouvernementale, Président de la République en tête : loi il doit y avoir, loi il y aura ! L’avis du Conseil d’État n’est finalement qu’un avis, son « interprétation » serait donc « respectable mais contestable ».

Voilà qui mérite une double réflexion.

Au plan de sa forme pour commencer, expressément rédigé en dehors « de toute considération d’opportunité » (p.17), l’avis du Conseil d’État se veut un indicateur particulièrement éclairant des questions, et des pistes de solutions, que se poseront les magistrats amenés à se prononcer sur le sujet. L’avis qu’il rendait en 1989 sur la compatibilité du port du voile islamique par des élèves de l’enseignement public, et qui fut visé lors de tous les procès pendant près de quinze années, nous le prouve. On voit mal les juges dédirent ceux qui, au final, les jugeront. Sur le fond, ensuite. L’opposition à laquelle nous assistons met en scène les traditionnels dépositaires du Droit, tel que pratiqué et vécu quotidiennement par tous les justiciables de France, aux éphémères passants de la souveraineté nationale. D’un côté, les spécialistes de la permanence du droit. De l’autre, les politiciens aux affaires, trop pressés par le temps d’un quinquennat finissant, pour ne pas céder corps et âme à l’appel urgent de lois opportunistes. Quels sont alors les termes de leur engagement ? Simplement : « valeurs » contre « droits ».

Qu’est-ce à dire ? Les valeurs républicaines sont un concept vague, subjectif par essence et indéterminé. Autrement dit, l’exact contraire de ce que doit être une règle de droit admissible. Personne n’est dupe : c’est parce que l’austère arsenal juridique sèvre nos gouvernants d’arguments et de fondements qu’ils s’en retournent et se rabattent sur l’appel à la défense des « valeurs » républicaines. Cela a déjà été mis en évidence : dans la continuité intellectuelle des raisonnements qui ont prévalu lors des débats sur l’identité nationale, la tentation incantatoire de recourir à des spectres juridiques sert, pour nos gouvernants, de cache-misère. Tout l’intérêt du sujet est de savoir laquelle.

On citera pour s’en convaincre, si besoin était, le prodigue (658 pages !) rapport de la mission d’information parlementaire conduite par M. André Gérin, et dans lequel figure le constat de l’impossibilité pour le politique de s’ingérer dans la liberté individuelle : « la solution la plus sûre juridiquement consisterait certainement à empêcher la pratique du port du voile sans pour autant l’interdire. »

Source: www.uoif-online.com

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