24 févr. 2010

Derrière le voile - Les préjugés ont la vie dure

Par Clairandrée Cauchy

Plusieurs musulmanes québécoises se sentent assiégées. En plus d'être confrontées à des courants conservateurs à l'intérieur de leurs communautés, elles sont aussi sur la défensive, occupées à déconstruire constamment les préjugés au sein de la société majoritaire.

On renvoie aux femmes musulmanes une image très stéréotypée d'elles-mêmes: «soumises, arriérées, archaïques, battues, sans voix, ignorant leurs droits». Ces qualificatifs sont revenus souvent au cours des travaux de Naïma Bendris, chercheuse au Centre de recherche sur l'immigration, l'ethnicité et la citoyenneté. «Elles sont confrontées au Québec avec une catégorie de personnes méprisantes, qui perçoivent la femme arabe comme une pauvre victime d'un système patriarcal, ayant besoin du secours des féministes occidentales qui ont, elles, su se débarrasser du joug patriarcal. Cela leur donne des boutons», affirme Mme Bendris.

Au fil d'entrevues réalisées avec plusieurs musulmanes québécoises, la chercheuse a constaté que la grande majorité d'entre elles s'emploient continuellement à «démolir, déconstruire cette identité imposée, pour présenter d'elles-mêmes une identité valorisée, positive».

Ce type de discours s'est particulièrement fait entendre lors du débat sur l'instauration des tribunaux d'arbitrage islamiques en Ontario, l'an dernier. Mme Bendris note que des féministes musulmanes qui luttent contre la charia, plus précisément contre le code de la famille, ont même hésité à prendre la parole contre l'arbitrage religieux, de peur d'alimenter la névrose contre leur religion. Même des laïques convaincues «sortent les griffes quand leur communauté d'appartenance est attaquée», souligne la chercheuse.

Les tenants d'un dialogue interculturel s'arrachent les cheveux. «Plus les musulmans sont agressés par la société majoritaire, victimes des préjugés et des stéréotypes, plus des voix s'élèvent dans la communauté pour dire: "On n'est pas maso, on va rester entre nous, c'est plus sécuritaire"», illustre Nadia Jakubowska, de l'organisme Présence musulmane.

Que faire?

Comment réagir, comme société d'accueil, pour intégrer harmonieusement ces communautés musulmanes diversifiées? D'abord en respectant la réflexion des féministes et des progressistes musulmans, répond Nadia Jakubowska. «Il y a un travail qui est en train de se faire de l'intérieur. Ce travail va prendre du temps, et c'est nécessaire pour que les femmes et les hommes s'approprient cela et ne pensent pas que c'est une agression de l'extérieur.»

Il faut aussi éviter de tomber dans le relativisme culturel. «On ne peut accepter qu'on fasse aux femmes musulmanes ce qu'on n'accepterait pas pour des Canadiennes», ajoute Alia Hogben, du Conseil canadien des femmes musulmanes. Elle rappelle à ce titre le débat passé au sujet des tribunaux islamiques et celui à venir sur la légalisation de la polygamie.

La députée Fatima Houda-Pépin, qui s'était fait entendre haut et fort pendant le débat sur la charia, lance aussi la balle aux pouvoirs publics. «Lorsque les femmes de ces communautés vivent des problèmes sociaux, il faut que les services publics soient en mesure d'y répondre, en formant des personnels issus de ces cultures pour établir un lien de confiance et opérer un rapprochement. Il faut éviter qu'elles s'isolent dans leur milieu et qu'elles soient des cibles privilégiées de certains courants islamistes qui veulent les maintenir dans l'isolement», croit la députée, qui insiste également sur l'intégration en emploi.

Si le jugement à l'emporte-pièce sur les pauvres musulmanes est facile à dégainer, la réelle intégration exige davantage d'efforts. L'exemple des banlieues françaises suffit cependant à convaincre de l'urgence du dialogue et de l'impérative intégration, à ne pas confondre avec l'assimilation.

Source: www.ledevoir.com

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire