20 nov. 2010

Chic et décomplexée, la mode musulmane change de visage

Si en France la mode musulmane évolue assez lentement, en Turquie elle a connu un véritable boom, symbole de l’essor économique et culturel d’une nouvelle classe de musulmanes à la modernité décomplexée.

A Istanbul, sur les quais bondés d’Eminönü, des femmes enveloppées dans des manteaux sombres et des foulards noués sous le menton bousculent d’autres femmes vêtues de couleurs vives et la tête couverte d’un voile soigneusement sculpté autour du visage. Il y a deux décennies un tel style vestimentaire, distingué et religieux à la fois, existait à peine en Turquie. Mais aujourd’hui il est de mise chez les plus hautes personnalités, comme la Première dame turque Hayrünnisa Gül et l’épouse du Premier ministre, Emine Erdogan. Les marques qui se sont spécialisés dans cette niche s’attendent à une évolution très prometteuse. Le voile reste l’une des questions les plus controversées de la Turquie.

De la façon dont le foulard est lié, accessoirisé, jusqu’au comportement de la femme qui le porte, lorsqu’il s’agit du voile tout est lourd de sens dans ce pays laïc qui compte 74 millions d’habitants, à majorité musulmane. D’un simple couvre-chef, stigmatisé dans les premiers jours de la République turque comme étant arriéré et rural, il est devenu, dans les dernières décennies, un vêtement soigneusement travaillé et tout à fait commercialisable, incarnant ainsi le défi lancé par une nouvelle classe de musulmans aux élites laïques de la Turquie. « Il était difficile de trouver quoi que ce soit de chic pour les femmes couvertes il y a 10 ans, mais la mode a fait d’énormes progrès pour les musulmanes dans les six à sept dernières années », déclare Alpaslan Akman, un responsable de production et de marketing d’Armine, une marque de mode musulmane. Armine est connue pour ses campagnes à fort impact. De grandes affiches sont accrochées dans les bars et boîtes de nuit du centre d’Istanbul - des modèles sereins qui contrastent avec l’agitation de ces lieux.

« Nous sommes plus chanceux que les générations précédentes. Nous avons un plus grand choix de conceptions et de couleurs pour les foulards », déclare Filiz Albayrak, une vendeuse de 30 ans qui travaille dans une boutique de foulards à Istanbul. Environ 69% des femmes turques se couvrent la tête, toutes manières confondues, selon une étude réalisée en 2007. Parmi elles, 16% de ces femmes optent pour le style turban, plus discret et citadin, qui couvre aussi bien les cheveux que le cou.

Regain de confiance

La Première dame de Turquie, qui porte un voile, a co-accueilli les célébrations de la fête de la République avec son mari pour la première fois le mois dernier. Rencontrer Hayrünissa Gül avec son voile dans le palais présidentiel était de trop pour les militaires résolument laïcs, qui ont refusé de participer à la cérémonie. Mustafa Karaduman, fondateur de la maison de mode islamique Tekbir lancée en 1982, observe les changements dans la société et croit en la croissance de ce marché. « Notre travail était très amateur dans la première décennie. Puis, en 1992 nous avons organisé le premier défilé de mode de voiles, qui a attiré sur nous les regards de l’étranger. Maintenant, les vêtements de style islamique sont à l’ordre du jour partout dans le monde » a-t-il affirmé.

Le quotidien turc Milliyet estime que le marché des vêtements islamiques vaut 2,9 milliards de dollars.Mais si on le voit dans les rues, le voile est interdit pour les étudiantes et les fonctionnaires au sein des institutions de l’Etat laïc. Il est parfois décrit comme étant le miroir du développement socio-économique de la Turquie. La rapide croissance économique a fourni à de nombreuses personnes plus de revenus à dépenser pour elles-mêmes. Par ailleurs, la prise de conscience politique au sein d’une classe musulmane dominante a conduit à rendre le voile très visible, comme le signe de leur place dans la société. La religion est devenue plus importante après le coup d’Etat militaire de 1980 et a été tolérée comme garde-fou contre les idées gauchistes.

Selon Özlem Sandikçi, professeur assistant de marketing à l’Université Bilkent d’Ankara, les jeunes citadines ont commencé à porter d’amples manteaux et de grands foulards faits à la main en guise de message politique. Les vêtements sont devenus peu à peu plus cintrés et plus colorés, comme les musulmanes voulaient être vues et reconnues, précise-t-elle. « La Turquie disposait déjà d’un savoir-faire dans le textile. Donc quand les femmes ont commencé à se couvrir, il est évident que les entreprises ont cherché à répondre à cette demande. Ces petites entreprises ont commencé à s’agrandir et sont devenus de plus en plus des acteurs influents », ajoute-t-elle. Aujourd’hui, les musulmans les plus conservateurs désapprouvent la mercantilisation du foulard dans l’industrie de la mode islamique, tandis que les ardents laïques trouvent que les vêtements sont ostentatoires et trahissent un peu la pudeur que le port du foulard est censé exprimer. « La pudeur est une exigence, mais elle n’est pas la seule », a déclaré Sandikçi ajoutant : « les femmes sont également censée présenter une apparence agréable de façon à agir comme un modèle et être un bon exemple pour l’islam. »


Source: http://fr.zaman.com.tr

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