15 sept. 2010

Le combattant de l’islamophobie

Ingénieur et ancien imam à l’Université américaine à Washington, Fadel Soliman est l’initiateur de la fondation Bridges (ponts) visant à rectifier l’image de l’islam. Pour lui, le 11 Septembre 2001 fut un vrai tournant dans sa vie.

Par Lamiaa Al-Sadaty

« Al-Islam howa al-hal » (l’islam est la solution), « Illa rassoula Allah » (tout sauf le prophète Mohamad), ce genre de slogans est monnaie courante chez les islamistes ou conservateurs. Lui, il affiche des idées tout à fait contraires : « L’islam peut garantir des solutions à certains de mes problèmes personnels. Mais que faire pour les non-musulmans ? Adopter un slogan comme celui de l’islam est la solution est vraiment provocant. Il en est de même pour tout sauf le prophète Mohamad, divulgué à la suite de la publication des caricatures anti-islamiques dans des journaux occidentaux. Ce slogan sous-entend que toute attaque est permise excepté celle adressée contre le prophète Mohamad. Et alors, cela signifie qu’on accepte que le Coran soit attaqué ? ». Fadel Soliman n’est pas du genre qui aime les slogans ou la voix haute.

Il appartient à une catégorie d’hommes qui prennent leur temps à analyser la question pour en déceler le non-dit. Ensuite, il passe à la réponse suivant une certaine logique. Un esprit analytique qu’il a sans doute enrichi grâce à des études en polytechnique à l’Université de Aïn-Chams, au Caire.

Durant les années d’études universitaires, il vivait comme la plupart des jeunes, au rythme trépident de la vie. « Avez-vous entendu parler de ces fameuses courses de voitures sur la route de l’aéroport ? J’étais parmi les organisateurs. De même, je participais à l’organisation des fêtes universitaires. Ces fêtes étaient animées dans le temps par les stars de la chanson comme Hamid Al-Chaéri ; filles et garçons s’y rencontraient et nouaient amitié ». Quel rapport avec la religion entretenait-il à ce moment donné ? « Superficiel ! », répond-il avec une lueur de regret dans les yeux. Et la raison du changement ? « C’est un changement vers ce qui devait être. La religion doit occuper une place importante dans la vie de tout un chacun », rétorque-t-il sans plus. Mais, ce n’est pas tout le monde qui décide du jour au lendemain de se vouer à la prédication et de fonder un établissement pour rectifier l’image de l’islam, non ? Soliman garde son mystère, comme s’il se plaît à nourrir une image énigmatique de lui. Un peu trop même.

Il appartient à une famille cairote aisée. Son grand-père maternel est Ahmad Al-Demerdach Touny, champion mondial de natation et pionnier du mouvement sportif arabe. Grâce à lui, les premières Olympiades arabes ont été organisées à Alexandrie en 1953 et le stade de football fut bâti. Et son grand-père paternel, c’est Sedqi Soliman, ministre du Haut-Barrage d’Assouan sous Nasser. « Mon grand-père était convaincu du socialisme islamique et était très fier d’avoir les racines s’étendant à Abdallah ibn Al-Zobeir, fils d’ibn Al-Awwam, l’un des compagnons du prophète Mohamad, à qui le prophète avait promis le paradis ». Fadel raconte, sans cacher sa fierté : « Je me suis toujours posé la question : pourquoi était-il surtout fier d’être parmi la descendance d’Abdallah sans mentionner son aïeul, Al-Zobeir ibn Al-Awwam ? Avec le temps, j’ai compris qu’il le glorifiait autant parce qu’il était le symbole de la révolution dans l’histoire islamique. Car il s’est dressé contre les Omeyyades ».

Il semble que lui-même a dû hériter l’esprit de la révolution, optant cependant pour un genre différent : une révolution contre un état d’âme en dépression. « En un temps court, j’ai subi quatre accidents mortels. J’ai été dévoré par des sentiments négatifs. J’ai découvert que pour s’en débarrasser, il fallait me réconcilier avec l’entourage. Mais comment le faire, alors que j’ai un rapport peu solide avec Allah ? J’ai commencé à me rapprocher du Bon Dieu, à lire le Coran. J’ai réussi à avoir al-igaza (autorisation de la récitation coranique) », ajoute-t-il.

Petit à petit, sa manière de voir change complètement. Mais, le vrai changement, il l’a connu quelques années plus tard aux Etats-Unis. « J’avais eu la chance de travailler dans une méga-entreprise d’Internet là-bas. En même temps, j’enseignais le Coran aux écoliers et j’étais imam à l’Université américaine à Washington », raconte-t-il en qualifiant cette étape de la plus belle de sa vie, exprimant un grand amour pour le peuple américain. « Je préfère le peuple au système américain. Celui-ci prétend la démocratie, alors qu’il soutient les régimes despotes. Malheureusement, l’administration américaine est au service d’Israël, au lieu d’œuvrer en faveur des Etats-Unis », indique-t-il.

Ces années durant, il a savouré le goût du succès, car il travaillait pour le World Assembly of Muslim Youth (WAMY, Assemblée mondiale de la jeunesse musulmane), une organisation saoudienne fondée à Jeddah en 1972, afin d’éduquer la jeunesse selon les préceptes authentiques de l’islam. Il s’agit en fait d’une ONG accréditée auprès de l’Onu. Ainsi il avait commencé à organiser des ateliers pour jeunes et des colloques sur l’identité musulmane, le dialogue avec l’Autre, etc.

Mais, le 11 Septembre 2001 a tout bouleversé. « J’étais, ce jour-là, avec un groupe d’invités à la WAMY et on comptait faire un petit tour à New York quelques heures avant le commencement des colloques. On a passé quarante-cinq minutes dans la rue sans trouver de taxi pour aller au World Trade Center. J’étais fou de rage, mais quelques minutes après, on a appris que le WTC a été attaqué. J’aurais pu être parmi les morts. J’ai appris un sentiment nouveau : la satisfaction. Il ne faut jamais être heureux ou malheureux, mais il faut être satisfait ».

Un vrai tournant. Lui qui présentait, sur la chaîne 30, une émission hebdomadaire, The Islamic Show, et à la radio Let the Quran Speak (laissez parler le Coran) s’est trouvé face à des questions telles : Pourquoi vous ? Les musulmans détestent-ils autant les Américains ? « La réponse automatique est : on ne vous hait pas. Mais, j’ai répondu autrement : les islamistes sont-ils les seuls à détester les USA ? Pourquoi ne pas chercher les vraies raisons derrière cette haine qui vient de partout ? ».

Soliman considère les attaques du 11 Septembre comme un acte terroriste et s’oppose entièrement à toute attaque contre les civils. Mais, en même temps, il réfute le ton de faiblesse adopté par les musulmans de par le monde. « Le fait de répéter à chaque instant que l’islam est une religion de paix m’énerve et révèle une impuissance incroyable. Il faut dire que l’islam est une religion de guerre et de paix. Pour réaliser la paix, on est parfois obligé de faire la guerre », explique-t-il sur un ton confiant. Il n’hésite pas à citer le « djihad », une notion qui, selon lui, est mal comprise et mal interprétée partout dans le monde, y compris chez les musulmans eux-mêmes. « On n’a rien appris sur la notion du djihad à l’école. Or, notre religion a instauré les principes du djihad : la guerre se fait uniquement contre les guerriers et non pas contre les civils, au moment et au lieu propices ». Lesquels ? « Le moment propice est celui où les guerriers se sentent prêts. Quant au lieu propice, c’est là où il y a eu attaque ».

Par ailleurs, le fait de lier politique et islam n’a-t-il pas beaucoup nui à l’image de l’islam ? « Certainement pas. Il existe ce que l’on s’accorde à appeler la politique du légitime dans l’islam. Cette religion a interféré en politique, avec la réforme comme objectif. La politique repose toujours sur les intérêts matériels, mais la politique en islam est basée sur des intérêts moraux ».

Soliman est convaincu que les musulmans eux-mêmes sont responsables de l’image erronée de l’islam. « L’islam a besoin d’être bien présenté et représenté : il faut annoncer que le terrorisme n’est aucunement lié à l’islam. La cause du terrorisme est la discrimination : si la CIA avance que Bin Laden est caché dans un immeuble en Afghanistan, l’immeuble sera détruit en quelques secondes. Mais, si on dit qu’il est dans un immeuble à New York, aurait-on la même réaction ? Bien sûr que non. Simplement, le principe d’équité est absent ».

Apparemment, ses opinions n’ont pas tardé à déranger les autorités américaines. « On m’a demandé de parler du terrorisme selon leur point de vue et de déclarer le Hamas comme une organisation terroriste. J’ai refusé de trahir mes pensées », dit-il.

Le torchon brûle et il quitte les Etats-Unis pour s’installer au Caire de nouveau. « Je ne compte pas faire partie des habitants de Guantanamo », sourit-il.

Ainsi il a fondé son association Bridges qui se charge de rectifier l’image erronée de l’islam. « Mon but n’est pas de convertir mais plutôt d’agir face à toute attaque contre l’islam ». Un but qui mène parfois vers la conversion à l’islam. « Pas forcément. Ce n’est pas mon objectif principal. Mais, si cela a lieu, tant mieux ».

Pour ce faire, Fadel Soliman ne suit pas les moyens traditionnels. Il a élaboré des stratégies. « Je ne vais pas écrire des livres. Aujourd’hui, c’est le documentaire qui fait l’affaire », poursuit-il. Son documentaire The Fog is lifting, dont la première partie Islam in Brief a été sous-titré en 25 langues. Et le plus intéressant c’est qu’il a su inviter des personnalités non-musulmanes afin de parler de l’islam.

La deuxième partie, Islam in Woman, donne des réponses à la question suivante : qu’est-ce que les femmes ont retrouvé en l’islam ? « L’expérience des juifs aux Etats-Unis m’a inspiré. Autrefois, on interdisait dans certains endroits l’entrée des Noirs, des juifs et des chiens. Mais au bout de quelques années, les juifs ont réussi à être rayés de la liste, en travaillant leur image auprès de la jeune génération ».

Soliman sait bien à qui s’adresser. Ses projets ne s’arrêtent pas là. Son association va bientôt inaugurer un centre islamique en Ouganda. Mais avec quel financement ? « Ce sont des sponsors, des hommes d’affaires qui soutiennent l’islam. En outre, l’institution offre des stages de formation payants aux prédicateurs. Cela lui permet de couvrir les salaires de ses employés », reconnaît-il.

Fadel Soliman se bat bec et ongles. Il n’hésite pas à traiter des sujets épineux comme le rapport entre les musulmans et les chrétiens. Et fait appel à des débats pour tout le public. Toutefois, il ressemble à ces autres activistes par ses zones d’ombre qu’il maintient avec beaucoup de soin.


Source: http://hebdo.ahram.org.eg



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