27 avr. 2010

A Marseille, le ras-le-bol des musulmans

La plus grande communauté de France lève le voile sur son malaise et sa peur d’être stigmatisée.

Se sentent-ils montrés du doigt, les musulmans marseillais ? La plus grande communauté de France (200.000 personnes sur une population de 800.000, soit un habitant sur quatre) n’a en tout cas pas perdu sa tchatche légendaire. Les "cacous" ont même inventé un mot pour celles qui portent le voile intégral, devenues des "Batman" dans le français imagé qu’on parle sur les quais du Vieux-Port. Combien sont-elles, au fait, ces « Batman» qui vont toutes de noir vêtues sous le soleil provençal ? "Le phénomène de la burqa est encore plus circonscrit à Marseille qu’ailleurs. Il ne concerne que deux mosquées salafistes. Sur la soixantaine de lieux de culte que compte la ville, c’est peu", estime Vincent Geisser, sociologue à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman*.

"A Marseille, la communauté est tellement importante qu’on n’a pas de problème de stigmatisation. On n’en avait pas avant les débats sur le port de la burqa, on n’en aura pas non plus après", assure Yassine Bourourou, 29 ans, gérant d’un snack halal proche de la Canebière, l’hyper-centre marseillais. Un coup d’oeil aux deux tablées en terrasse raconte mieux qu’un long discours la mosaïque marseillaise: des filles voilées, d’autres en mini-jupe, dévorant côte à côte leurs merguez frites. Tout est dit. Yassine poursuit: "Ma soeur a 19 ans et vient de se voiler. Elle n’a pas de problème spécifique, elle dit avoir trouvé la foi. Moi, je ne suis ni barbu ni même pratiquant. Je ne vais quand même pas interdire à ma soeur de se voiler. La seule chose que j’ai envie de défendre, c’est la liberté de chacun. Pour moi, c’est ça, la laïcité."

"Le voile intégral, c’est comme les satanistes, ça fait peur"

A deux pas, la prière vient de s’achever à la mosquée de la rue Francis-de-Pressensé (1er arrondissement). Sujet du prêche? "Le mensonge, rien à voir avec le voile intégral. Le sujet intéresse tellement peu les Marseillais que l’imam n’en parle même pas, vous voyez!", tacle gentiment Hakim Djoulah, 36 ans, l’un des fidèles qui sort de la salle de prière. "C’est dommage que ce type de sujet fasse la une alors qu’il y a tant d’autres problèmes. Le chômage, la pauvreté, les difficultés de logement, tout particulièrement à Marseille." Educateur dans le quartier du Panier, Hakim relativise: "Le voile intégral, c’est comme les satanistes. Ça fait peur. Mais le gouvernement n’a pas légiféré sur les satanistes, alors pourquoi le fait-il sur le voile intégral, qui concerne encore moins de personnes?"

L’épouvantail de l’"identité en danger" a réveillé le vote FN

A côté de lui, Elkhier Courtel, un électromécanicien de 53 ans, est remonté à bloc: "A force d’écouter les informations, évidemment qu’on finit par se sentir stigmatisés par la succession des débats au sujet de notre religion. Je dirais que ça a commencé avec le 11-Septembre. Et la question de la burqa a encore fait monter le niveau. Ce qui m’agace, c’est que le débat n’est pas mené de façon honnête. La vieille chanson de la laïcité, qui dit que chacun peut vivre sa religion comme il l’entend, c’est une farce, finalement." A l’Union des familles musulmanes, une association laïque basée dans une rue voisine, la directrice, Nasséra Benmarnia, est amère: "Avec tous ces débats, on a l’impression que les trottoirs de France et de Navarre sont remplis de femmes intégralement voilées. Résultat : aux élections régionales, en Paca, à force de terroriser les gens avec une identité soi-disant en danger, le vote FN s’est réveillé."

Une islamophobie rampante que dénonce aussi Fatima Orsatelli, militante laïque de longue date, aujourd’hui élue régionale PS et trésorière adjointe de la future Grande Mosquée de Marseille: "A force de dérapages verbaux, de prises de position intempestives, voire même d’agressions pures et simples, comment ne pas se sentir visés, que ce soit à Marseille ou ailleurs? Le débat sur l’identité nationale et le projet de loi sur la burqa creusent un fossé dont on ne mesure pas encore les conséquences sur les années à venir." Retour à l’UFM, où, tout en menant tambour battant ses troupes associatives, Nasséra Benmarnia ne cache pas sa lassitude: "Il y a un sentiment de ras-le-bol, vraiment. Si le gouvernement se préoccupe tant du sort des femmes, qu’il commence par ne pas sabrer les budgets des associations qui luttent pour le droit des femmes, comme le Planning familial ou SOS Femmes contre les violences conjugales. Si des femmes sont effectivement forcées à porter le voile intégral, qu’elles trouvent au moins des oreilles pour les écouter."

* Coauteur, avec la journaliste Stéphanie Marteau et la sociologue France Keyser, du livre Nous sommes français et musulmans (Autrement , mars 2010).


Source: www.lejdd.fr

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