18 mars 2010

Mohammad Iqbal un philosophe du XXe siècle

Par Omar lssop BANIAN

Dans l’histoire de la philosophie islamique, il est des hommes qui ont marqué leur époque, à l’instar d’Al Ghazâli, lbn Arabi ou encore Maulana Rûmi. Plus près de nous, dans toute sa forme culturelle, Mohammad Iqbal, célèbre poète et philosophe musulman indien, qui à sa manière, a exercé une profonde influence sur la vie de tout un peuple. Surnommé le poète de l’Orient (Shair-i-Mashriq), et aujourd’hui vénéré et étudié partout au Pakistan, comment Iqbal a-t-il pu se placer dans cette «position où l’homme est plus élevé que les cieux» ?
Lorsque le 21 avril 1938, le sourire aux lèvres, Iqbal mourut, il devait laisser, ce quatrain devenu célèbre: «Lorsque je quitterai ce monde, Chacun dira «Je l’ai connu» Mais la vérité est, hélas ! Que personne ne savait qui était cet étranger ni d’où il venait». Cependant, l’universalité de son message et la portée de son oeuvre donnera au monde les moyens de connaître cet homme et en même temps lui rendre tous les honneurs par son oeuvre magnifique et exaltante.

Sans nul doute, la présence d’iqbal a été un événement dans l’histoire de la pensée musulmane indienne Expérience occidentale Mohammad Iqbal dont les ancêtres étaient des Brahmanes du Cachemire convertis à l’islam depuis plusieurs siècles, est né au Pendjab en 1783 de parents musulmans, plus exactement à Sialkot, où il fit ses études primaires et secondaires.
Très jeune, il se distingue par son talent de poète et côtoie très vite les grands maîtres de la poésie urdu, tel que Dagh. Encouragé par ses professeurs, dont l’érudit Maubi Mir Hasan, Iqbal s’installe à Lahore en 1895 pour y entreprendre des études universitaires. Lahore était devenu à cette époque, un grand centre intellectuel, et c’est dans cette ville qu’il sera initié à la littérature et à la pensée occidentales, notamment grâce à la rencontre avec Sir Thomas Arnold.
A partir de 1905, il séjourne pendant 3 ans en Europe. Ce séjour somme toute assez court, jouera un rôle primordial dans la «pensée lqbalienne».
En effet, étudiant à l’université de Cambridge, puis en Allemagne, professeur d’Arabe à l’Université de Londres, Iqbal profite de son expérience européenne pour rencontrer notamment Bergson et le professeur Louis Massignon. De retour à Lahore en 1908, il abandonne très vite la chaire de philosophie et de littérature anglaise qu’on lui offre, pour se consacrer à l’étude du Droit, mais surtout à la vie politique de son pays.
Elu à l’assemblée législative du Pendjab en 1927, Iqbal se fait le défenseur de l’idée d’un Etat musulman dans le Nord-Ouest de l’Inde, en qualité de président de la session annuelle de la ligue musulmane en 1930.
Il contribuera quelques années plus tard, par son influence spirituelle à la naissance de l’Etat du Pakistan. Dès lors, la ligue musulmane considère Iqbal comme son théoricien.
Il assistera en 1932 à la conférence de la table ronde, à Londres, en vue d’établir un projet de constitution pour l’Inde.

La philosophie iqbalienne


Mais Iqbal est avant tout un poète et un philosophe, éveilleur des consciences endormies, rassembleur des ardeurs dispersées, il «reconstruit» la pensée religieuse, à partir de ses propres concepts, dans une optique dynamique créatrice et heureuse, le système islamique dans sa pureté originelle.
Son oeuvre poétique composée en urdu, et en persan est remplie de l’exaltation des gloires passées de l’islam, de son époque décadente, de réactions contre le conservatisme soporifique des classes dirigeantes, et surtout contre les doctrines négatives et mystiques qui ont amené l’Inde à un stade médiéval.
Iqbal ne croit pas à l’art pour l’art. Il considère l’écrivain comme un éveilleur des esprits, ainsi l’oeuvre d’Iqbal ne s’adresse pas seulement aux musulmans de l’Inde, mais au monde entier. L’écrivain doit jouer un rôle primordial dans la société. Sa philosophie est celle de la «reconstruction», elle s’élève contre l’importation en Islam d’idées platoniciennes et néo-platoniciennes, qui avait causé la mort de l’énergie de son peuple.
Cette doctrine qui privilégie l‘évasion hors du monde, considère la vie comme une apparence (thème très bien illustré dans le fameux mythe de la caverne) et met en exergue l’idée de fatalité. Ce sont ces croyances qui d’après Iqbal ont amené l’Inde aux portes de l’humiliation, croyances reprises selon lui dans le Vedânta et le Christianisme. «L’islam a trop entendu parler de renoncement; il est grand temps que les musulmans regardent la réalité en face. Le matérialisme est une arme efficace contre ceux qui mystifient délibérément le peuple aux fins d’exploiter son ignorance et sa crédulité». (Discours et déclarations).
L’homme ne peut refuser le monde, il doit sans cesse travailler à améliorer et transformer sa condition, car la vie est une réalité et non une illusion. L’islam n’enseigne pas la renonciation au monde d’ici-bas, mais il condamne l’attachement au matérialisme. «La vraie solitude n’est pas dans le désert, la vraie solitude se trouve dans la foule». (L’aile de Gabriel). Pour ce faire, Iqbal se base sur des données coraniques, il rappelle que le but principal du Coran est «d’éveiller dans l’homme une conscience plus haute de ses multiples relations avec Dieu et l’univers», et il confirme l’homme dans le rôle qu’il doit jouer, «celui de coopérer avec Dieu afin d’aider l’humanité en marche», il est le but même de la création. Ce programme vaste et prodigieux trouvera des échos dans la jeunesse musulmane pour qui «Iqbal est venu parmi elle comme un messie ressuscitant les morts».
Il est vrai que le poète l’avait annoncé lui-même «le suis venu dans le monde comme un soleil neuf».
Cette philosophie originale trouve sa source dans le Coran, et l’exemple du prophète Mohammad (Saw), elle insiste sur l‘idée que l’homme ne peut s’épanouir que dans un climat de liberté, car l’esclavage empêche toute possibilité de création, n’est-il pas vrai que ce monde est l’héritage des hommes pieux ?

En effet le message du Coran et celui du prophète, appellent constamment l’homme à trouver le juste milieu entre sa vie spirituelle et sa vie temporelle. Code complet pour l’homme, guide précieux dans tous les domaines de la vie, politique, économique, social et culturel, le Coran n’en est pas moins un rappel à l’homme, qu’il est également mortel. Ainsi, toutes les chances lui sont données pour s’épanouir dans les deux mondes, avec à la sortie la possibilité d’atteindre à l’intemporel. Ainsi l’homme se trouve au centre de la philosophie d’Iqbal, sa conception de la société n’est pas utopique, car il ne fait que reprendre la conception islamique de la société, qui propose une vie en communauté, et aspirant à l’unité, unité des hommes, unité avec Dieu, contrairement à l’individualisme, dont nous sommes tous atteints aujourd’hui.

L’oeuvre d’Iqbal est grandiose et vaste, ces quelques lignes ne suffisent pas à expliquer toute la doctrine de Mohammad Iqbal.
Sa vie, qui fut un combat contre la pauvreté, le défaitisme, la fatalité détournée de son vrai sens, l’esclavage des peuples et le racisme, sont jalonnés de discours et de déclarations, que nous conseillons vivement aux lecteurs et à la jeunesse actuelle d’étudier (cf. Bibliographie).
Contemporains d’hommes politiques tels que Gandhi, Nehru et Mohammad Ali Jinnah, il n’en est pas moins de poètes célèbres du sous-continent indien, comme Rabindranath Tagore. Iqbal a contribué avec l’avènement du Pakistan, à la renommée internationale de la littérature urdu, grâce à la beauté créatrice de sa poésie. Nous avons en lui, une forme de soufisme actif et dynamique, orienté vers le progrès et la science. Il a rendu à la culture de notre siècle un service inestimable.
«Des roses à naître sont cachées sous les pans de mon manteau», nous les recueillons aujourd’hui.


Bibliographies

Les principales oeuvres d’Iqbal - En persan Les secrets du Moi, Lahore 1915 Les Mystères du Non - Moi, Lahore 1918. Message de l’Orient, Lahore 1923. Le Livre de l’Éternité, Lahore 1932 - En français L’Aile de Gabriel, Lahore 1935, Le bâton de Moïse, Lahore 1936. - En anglais The Development of Metaphysics in Persia, Londres 1908. The Reconstruction of Religicus Thought n islam, Londres 1934. - Traduction des oeuvres en Français: Reconstruire la Pensée de l’islam, par Eva de Meyerovich. Ed. A. Maisonneuve - Paris 1955. Message de l’Orient, par E. de Mey. et Mohammed Achena, Les Belles Lettres - Paris 1956. Le Livre de l’Eternitè, par Eva de Mey. Collection «Spiritualités Vivantes» Ed. A. Michel - Paris 1962.

Source: www.islam-fraternet.com

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