23 déc. 2009

Malgré la crise de Dubaï, Paris croit à la finance islamique

Par Anne Michel

La crise de Dubaï aura-t-elle raison du bel engouement de l'Occident pour la finance islamique ? Depuis plus d'un an, suivant la voie ouverte par le Royaume-Uni, plusieurs pays européens, dont la France et l'Allemagne, s'emploient à développer, sur leur territoire, un marché financier "halal".

Ils adaptent leurs lois aux produits financiers islamiques, s'attirant au passage les foudres des défenseurs de la laïcité. Ils financent aussi des formations universitaires, pour doter leur pays d'experts de cette activité assise sur les principes de la charia - l'une a été inaugurée, le 25 novembre, à l'université Paris-Dauphine. Ils multiplient également les conférences sur le sujet.

Sans faire mystère de leur objectif commun - attirer les capitaux des pays du Golfe, au sortir d'une crise financière qui laisse le Nord exsangue -, les pouvoirs publics ont assis leur communication sur les vertus de la finance islamique.

Ainsi, parce qu'elle finance des biens ou des actifs identifiés (un appartement, une usine etc.), et n'a pas vocation à prêter de l'argent pour spéculer sur les marchés financiers, celle-ci serait bien plus saine, bien plus éthique mais surtout, plus stable, que la finance anglo-saxonne. Elle serait une sorte de "bouclier" anti-bulle financière et anti-crise.

Or, voilà, les déboires financiers de l'émirat de Dubaï jettent un pavé dans la mare. Ils montrent que la finance islamique peut elle aussi être en difficultés. S'est-on emballé pour un secteur qui ne représente qu'environ 1 % de la finance mondiale ? A-t-on cédé à un effet de mode ? S'est-on fabriqué une chimère ?

Les économistes et les fins connaisseurs de cette finance d'un genre nouveau, puisque religieuse, reconnaissent que le cas dubaïote doit être médité. Mais ils mettent en garde contre les amalgames et les jugements hâtifs. "La crise actuelle de Dubaï n'est pas la crise de la finance islamique, souligne Gilles Saint Marc, avocat associé chez Gide Loyrette Noue. C'est l'explosion d'une bulle spéculative née d'un surendettement de l'émirat et d'un surdimensionnement des infrastructures, dans une conjoncture mondiale déprimée."

Pratiquement dépourvu de ressources naturelles, Dubaï doit emprunter de manière structurelle sur les marchés afin de financer ses projets d'infrastructures : des projets fous conduits par le conglomérat Dubaï World. "L'intérêt de la finance islamique pour la France n'a pas de raison d'être affecté par cette crise, poursuit M. Saint Marc. La France a plus que jamais besoin de capitaux pour financer sa croissance et préserver ses emplois." Selon l'avocat, les principes qui sous-tendent la finance islamique, même s'ils n'en sont pas l'apanage, restent pertinents : adossement à l'économie réelle, rémunération fonction des flux de trésorerie (cash flow) générés par l'actif financé, transparence, etc.

Relais de croissance

De leur côté, les économistes relativisent "l'effet Dubaï". D'un point de vue financier, ils rappellent que l'émirat n'est pas un prêteur potentiel pour les économies européennes, mais un emprunteur sur les marchés financiers.

Autrement dit : oui, le marché des "sukuks", ces obligations islamiques émises par l'émirat, sera ébranlé si Dubaï ne rembourse pas sa dette. Et ce, même si la solvabilité de son "garant", l'émirat d'Abou Dhabi ne fait aucun doute. Mais non, la vision de la finance islamique comme relais de croissance n'est pas remise en cause.

"L'émirat de Dubaï n'a pas le monopole du surendettement, il y aussi l'Islande, la Grèce...", rappelle de son côté Olivier Pastré, professeur à Paris VIII, coauteur de La Finance islamique, une solution à la crise ? (Economica, 2009, 122 pages, 19 euros). Pour M. Pastré, "la France doit combler son retard par rapport à la Grande-Bretagne, sur un marché de 800 milliards de dollars d'actifs (530 milliards d'euros), qui deviendront 1 200 milliards de dollars d'ici une dizaine d'années".

Cet avis est également partagé par de nombreux élus locaux, en quête de fonds pour financer leurs projets d'infrastructure, dans un contexte de disette budgétaire. Ainsi, Christian Sautter, adjoint au développement économique, à l'emploi et à l'attractivité internationale à la mairie de Paris, l'assure sans ambage : "La finance islamique achemine l'épargne de pays disposant d'importantes ressources qui cherchent à faire des placements pour l'après-pétrole. Nous avons des investissements à leur proposer dans le cadre de notre plan Paris 2020 !" Pour M. Sautter, qui suit en cela la ministre de l'économie Christine Lagarde, le développement de la finance islamique à Paris est "un enjeu de compétitivité entre places financières".

Il n'empêche. Le cas Dubaï doit être étudié pour ce qu'il révèle de la finance islamique. Pour Elyès Jouini, professeur en finance islamique à Paris-Dauphine, cette crise démontre que "le principe du partage des pertes et des profits entre le prêteur et l'emprunteur n'est pas vain mot". Ainsi, les banques qui ont financé Dubaï sont fragilisées. Mais M. Jouini se dit convaincu que la finance islamique, qui finance l'économie réelle et qui exige une "traçabilité totale" des risques, "permet d'éviter les dérives qui ont conduit à la crise financière de 2008".

Pour Laurent Weill - lui aussi enseignant en finance islamique à l'école de management de Strasbourg, la première formation ouverte en France, il y a un an - cette affaire révèle que "cette forme de finance, plus vertueuse et éthique, comporte aussi du risque et ne doit pas être prise pour ce qu'elle n'est pas : un remède miracle".


Source: Le Monde, article paru dans l'édition du 03.12.09.

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