25 déc. 2010

A FEU (DOUX) LA LIBERTE…(Partie 1)

Par Abdelhakim CHERGUI


Ami(e)s !

De grâce, arrêtons-nous un instant. Notre marche silencieuse n’a que trop duré. Cernés par l’embrasement de nos valeurs les plus belles et le vacarme des Charters de la honte qui décollent sur nos têtes comme autant d’affronts, les combats actuels nous imposent quelques paroles. Asseyons-nous.

Et écoutons.

Ces paroles liées, contraintes par la mode des temps, forcées par l’ignominie des hommes, sont des paroles nocturnes formulées pour évoquer le jour, fruits de la lune, griots du soleil. Pour nous éveiller à quelque réalité impalpable, elles s’efforceront de traiter de liberté, cette vieille femme populaire un peu fatiguée dont tout le monde aime à revendiquer le nom, et de nous, sa seule raison d’être. Chose étonnante, en dépit du fait que son nom soit dans toutes les bouches, il est une vérité qui n’est presque jamais mise en avant quand on en parle, comme s’il était important qu’elle soit passée sous silence… cette liberté ne peut pas se posséder, elle n’est en rien matérielle. Celui qui la veut, la veut sincèrement s’entend, doit pour cela, la goûter. Plus qu’un objet, un slogan ou une œuvre. Une saveur. D’accord, je vous vois venir. Le sujet est trop sérieux, trop « épais » pour être ainsi « réduit » et quoiqu’elle ne manque assurément pas de sel, cette formule n’est peut-être pas convenue… je veux bien en convenir. Mais c’est justement parce que le sujet est d’importance que faire la fine bouche serait particulièrement malvenu. Malvenu, infecte, répugnant. Pour tout dire, fidèle à mon humeur triviale, et à mon envie de toujours tout prendre avec le dos de la cuillère, il m’aurait plu de vous écrire que considérer la liberté sous cet angle nous obligeait à faire fi des menus détails, et sans avoir peur qu’il nous en cuise, à passer l’éponge sur toutes les petites recettes prêtes-à-consommer qui jusqu’ici nous estomaquaient. Mais, même ma propension à toujours mettre les pieds dans le plat sera contenue, je me retiendrais. L’heure est à l’urgence, et le thème, à s’y brûler les doigts. Notre devoir, ou l’idée qu’on s’en fait, est de sortir de notre petite sieste bien-pensante que nous appelons pompeusement « vie » et sans plus attendre, de nous y attabler. Ou nous y attarder, c’est selon. Commençons. D’ordinaire, quand il faut décrire la liberté, les juristes, dont la fierté tient à ce qu’ils se présentent volontiers comme ses cuisiniers officiels, se contentent de lui accoler l’offensant quolibet de « fondamentale » ou de « publique ». Face à eux, les puristes – qui ne m’ont heureusement pas invité à leur table pour une fois – se gargarisent en disant d’elle qu’on peut « l’expérimenter ». Soyons francs, ici, le vocabulaire sert de cache-misère.

Les mots et les qualificatifs ne se font savants que pour tenter d’affiner un concept qui n’a, à dire vrai, aucun besoin de l’être. Des mots-ersatz, artificiellement colorés pour nous présenter la rassurante maîtrise d’un sujet devenu à notre insu trop fuyant, trop glissant, presque inaccessible. Ces mots-paravents, ces mots-maudits, ils compliquent, ils conjuguent, d’une certaine manière, ils conjurent. Dans quel but ? Manifestement, pour mieux cacher l’évidence de notre incapacité à les saisir, peut-être, et derrière eux, à la saisir, elle, plus certainement. En tout état de cause, la sophistication du vocabulaire ne dissimule rien d’autre, sous ses airs d’intelligence, que notre insondable orgueil à vouloir rénover ce qui ne périmera jamais ni ne connaîtra de désuétude. La liberté, aurait-on presque envie de crier, c’est la liberté ! Point barre. Inutile de trop en dire. La qualifier ? C’est déjà l’asservir. Redoubler de noms, multiplier les qualificatifs ou trop l’intituler ? C’est faire l’aveu qu’elle n’irrigue plus nos vies. Ou, pire, qu’elle n’est plus, tout simplement. En d’autres termes, c’est parler d’une disparue de cet accent défunt qui seul sait rappeler à la surface du présent la multitude des détails d’une vie passée, dépassée, trépassée. C’est reconnaître, à demi-mot, que nous ne sommes pas libres. A la vérité, il n’est pas besoin de trop chanter. Qu’il suffise de l’appeler, de dire son existence et qui elle est, avant que de la porter à nos lèvres. C’est de cette seule façon que nous pourrons tous mesurer la distance qui tient ces grandes toques du discours éloignées de nos modestes aspirations, à nous, simples individus que nous sommes, citoyens ou pas, ces pauvres âmes d’en bas qui, du haut de leur naïve simplicité, la voudraient tout bonnement « présente », et pas seulement au fronton de nos mairies. La « vivre » tant qu’on est vivant, en somme. De mon point de vue, excentré par le recul que j’y attache, la liberté doit uniquement pouvoir se goûter. Je sais, je vous entends déjà penser tout haut : « En voilà une plume gourmande ! Il avait certainement faim quand il a écrit ça ? » Que nenni ! Il m’est simplement venu à l’esprit qu’en ces temps très « libres » où les particules de négation se plaisent à pulluler dans nos lois, il était peut-être opportun de revenir au socle originel de notre société, au fondement premier de cette grande et bellissime « meute organisée » qu’on voudrait voir nourrie d’un vivre-ensemble qui n’adopte pas les allures d’une file indienne et où de plus en plus de loups sont accouchés sous X pour mieux camoufler leur nom. Et le faire par notre sens gustatif m’a semblé, de manière très pessimiste il est vrai, une façon à la fois assez originale et suffisamment commune pour être comprise de tous. Et puis, en cette époque de surconsommation insensée où les caddies sont souvent bien plus remplis que nos maigres existences et où le prix, surtout s’il est soldé, passe avant la valeur, c’était plus parlant, plus évocateur. Plus bankable, comme l’on dit si tristement de nos jours.

Voyez le miracle : je l’appelle et elle vient en moi. Liberté. Laquelle me direz-vous ? La seule qui fasse saliver tous les hommes. Je n’en connais pas d’autre personnellement. Non pas celle qu’on croit avoir gagnée par la réduction du temps de travail ou l’augmentation de notre pouvoir d’achat. Non ! Icelle qui, depuis que l’homme est homme, se prit d’offrir la vision à l’œil et l’écriture à la main qui, avec audace, du bout du doigt, « écrit son nom » : sublime, invincible et particulièrement savoureuse.

Assumons ceci… soutenir l’idée que la liberté présente un goût qui lui soit propre, c’est dans la foulée affirmer immédiatement qu’il n’est nul besoin de se référer à une quelconque législation pour s’en prévaloir. Pour un juriste, vous en conviendrez, c’est commettre un crime de haute-trahison, se parjurer en place publique. Balayer d’un revers de la main des rayonnages entiers d’obscurs recueils juridiques qu’il ne sert plus à rien d’ouvrir ? C’est convier la liberté au flamboyant autodafé de tous ces horribles bouquins qui, sous prétexte de l’expliquer, l’emprisonnaient. Du même coup ordonner le silence au juge, le mutisme au législateur et le bâillon au politicien. Librement, faire tomber les barrières, les clôtures et les limites qui en interdisaient l’accès et, par l’élévation de notre regard, transpercer et parcourir l’immensité des terres qu’elles bordaient et, depuis le tout commencement, nous suggéraient d’arpenter. D’une certaine manière, le début de la route menant à l’horizon du bonheur humain. Le premier pas sur le chemin de l’éveil. Pour chacun.

Vous y compris. Même si vous êtes musulmans.

Quel rapport me direz-vous ? Aucun, si ce n’est tout. Il est juste troublant de constater, depuis un certain nombre d’années, qu’il suffise au moindre fait divers d’être entaché d’islam, plus ou moins directement d’ailleurs, pour avoir l’honneur de l’attention générale, les lumières des média et la préoccupation des dirigeants politiques. Des exemples ? Ce n’est pas ce qui manque. Des musulmans entendent garder pour eux, et leurs intimes, le secret de leur visage ? Et voilà qu’une loi interdit désormais à quiconque de se promener la frimousse masquée en place publique [1]. Des musulmans veulent vivre leurs amours, en dehors du mariage civil, dans la multiplicité et à plusieurs ? Et l’on nous rassérène par l’adoption prochaine d’un nouveau texte ! Alors que plus du quart des 1800 églises paroissiales d’Île-de-France ont été construites sur ce fondement [2] , un projet d’emphytéose voit le jour pour permettre à une communauté musulmane de disposer d’une mosquée en contrepartie d’une redevance symbolique ? Et voilà que nos juges « découvrent » subitement qu’il s’agirait là d’un contournement de la loi de 1905 ! Des patients musulmans entendent user de leur droit à choisir leur praticien, en fonction de leur considération personnelle et hors cas d’urgence médicale ? Et l’on entend déjà les remous des changements législatifs à venir… J’aurais aimé écrire qu’en la matière, il y en a pour tous les goûts. Mais hélas, le réel est gourmand et ne laisse que peu de place à la nuance : l’inflation législative qui engorge nos tribunaux, sature nos administrations et complique la vie de nos concitoyens doit beaucoup à l’islam. C’est un fait. Et, en soi, il est indigeste.

Face à cela, tout ce que nous portons en nous d’islamité, comprenez : tout ce qui nous calcine intérieurement sans que nos raisons n’en comprennent la raison, devraient nous pousser à ce cri : la liberté humaine, en ce qu’elle nous est venue d’un Dieu qui S’est appelé Lumière, s’habille d’un feu qui brûle sans brûler. Elle aime à se donner sans se perdre, se partage en s’accroissant et se consume sans se consommer. Comme une pluie fine qui semblerait ne jamais finir, elle irrigue et jamais ne sature. Se goûte, sans pouvoir rassasier. Celui qui croit au Ciel verra en elle le signe de la générosité sans bornes de son Créateur, celui qui n’y croit pas ressentira sa présence immuable jusque dans ses recoins les plus intimes, et en cimentera toutes ses constructions personnelles. Aucun ne l’ignorera. Tous seront d’accord : la liberté fit, il y a longtemps, don de la lumière à la nuit humaine et depuis, nous savons que sans elle, il ne saurait y avoir pas plus de civilisation éclairée que d’humanité éclatante.

Notes

[1] Pour les potaches qui se demandent encore comment écrire quand on n’a pas grand-chose à dire, on s’inspirera de la très officielle étude d’impact de la loi interdisant le niqâb et ses 22 pages d’anthologie : http://www.legifrance.gouv.fr/html/...

[2] : Odon Vallet in Votre commune et l’Église, Paris, Ed. du Moniteur, 1978, p.128 ; cité par G. Devers et C. Hafiz, in Droit et religion musulmane, Dalloz


Source: www.uoif-online.com

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