22 avr. 2010

Ijtihad et modernité en Islam

Par Dr Abdulaziz Othman Altwaijri


Introduction

L'ijtihad entretient une relation fort étroite avec la modernité d'autant que ce mot signifie innovation, évolution et quête du progrès dans tous les domaines de la vie. L'ijtihad est aussi la voie royale à emprunter pour passer d'une phase à une autre meilleure, où l'homme voit ses aspirations se concrétiser et accède à une existence plus digne où règnent paix, sécurité, justice et égalité et où est respectée la dignité de l'être humain dont Dieu a gratifié l'homme. Dieu Tout Puissant Dit : «Nous avons honoré les hommes».

Si, dans le droit islamique, l'ijtihad est l'effort de réflexion que l'on fournit pour extraire des règles générales à partir des sources fondamentales de la législation islamique, ou s'il est l'effort déployé en vue d'aboutir à un avis juridique à partir des fondements de la chariâ, il correspond, dans le domaine juridique plus particulièrement, à la jurisprudence, c'est à dire l'ensemble des décisions rendues par les juridictions sur une matière pouvant constituer une source de droit qui peut servir de base ou de référence pour le règlement de différends ou de cas d'espèce semblables(1).

Après cette tentative de définition du terme ijtihad, venons-en maintenant au mot modernisme. L'on peut dire que le modernisme constitue le degré avancé ou poussé de la modernité, c'est à dire que le modernisme est l'activation de la modernité. De toute façon, c'est un terme récent dans la langue arabe, puisqu'il n'était pas d'usage pendant la Renaissance de la pensée arabe qui date du milieu du dix-neuvième siècle. C'est plutôt le terme «innovation», tiré du patrimoine religieux, qui a prévalu quelque temps avant d'être remplacé par le terme (évolution). Ce vocable, chargé d'une connotation idéologique, réfère à la fameuse théorie darwiniste de l'évolution.

Le mot modernisme, employé dans ce contexte, fait-il donc référence à la modernité, ou désigne-t-il une chose moderne ou nouvelle par rapport à son époque ? Pour ce qui est du couple ijtihad et modernité, entendons-nous par cette association que l'ijtihad est intimement lié à la modernité, dans le sens où il en est le support et la base, ou bien cherchons-nous à dire que l'ijtihad soit moderne, c'est à dire nouveau ?

L'ijtihad : concept et acceptions

Selon les premiers savants musulmans rompus aux fondements de la chariâ islamique, l'ijtihad est l'effort de réflexion maximum qu'entreprend le juriste musulman (mujtahid) dans le but de parvenir à une règle légale ou d'émettre un avis juridique, cet avis étant le résultat d'un travail intellectuel très appliqué(2).

Pour Ibn Hazm, il s'agit de «se dépasser intellectuellement pour statuer sur un cas d'espèce au sujet duquel un Texte explicite n'existe pas, en se fondant sur les dispositions de la législation islamique et en étant convaincu que celles-ci sont claires et sans ambiguïté et qu'elles sont connues par l'ensemble des savants. Et quand bien même celles-ci échapperaient à certaines gens, il est impossible qu'elles le soient pour tous, car Dieu n'impose aux hommes qu'une charge adaptée à leur taille. Autrement dit, nul n'est tenu à l'impossible devant Dieu»(3).

L'ijtihad est de deux types :

1- L'ijtihad absolu : Il porte sur toutes les dispositions de la législation islamique. C'est l'effort de réflexion que fournit le juriste pour mettre au point un avis juridiques concernant des cas rares, en se basant sur un indice ou en se rapportant aux sources de la législation islamique.

2- L'ijtihad indépendant : il traite au cas par cas, en intervenant à chaque fois pour apporter des réponses urgentes à la société au sujet d'une question donnée. Cet ijtihad ne peut faire foi qu'à la condition que la position ou la règle déduite ne soit pas en contradiction avec le texte coranique ou avec la décision unanimement prise (ijmaâ) par les docteurs de la chariâ. Par contre, il n'est pas obligatoire que l'on soit au courant de toutes les réponses légales relatives à cette question(4).

Les premiers savants musulmans estiment que toute question qui n'a pas été tranchée par les sources principales de la chariâ est de facto matière à ijtihad. En d'autres termes, l'ijtihad n'est pas permis dans les dogmes fondamentaux établis par le Texte avec des preuves péremptoires comme l'obligation des cinq prières, la zakat (la charité) ainsi que les autres piliers de l'islam(5).

L'objet de l'ijtihad peut être constitué par les dispositions fixées par le Texte, et dans cette perspective le mujtâhid cherche à prendre connaissance des règles globales qui tiennent lieu de preuves décisives ; il peut aussi procéder d'un raisonnement par analogie ou qiyaas. Dans ce cas de figure, l'ijtihad porte sur un élément qui n'a pas été traité par un Texte explicite ou sur un cas d'espèce dont la règle correspondante n'a pas fait l'unanimité, en dépit de l'existence d'un Texte, ou parfois dont l'unanimité elle-même n'est pas unanimement approuvée. Il s'agit alors de mettre au point une décision en se basant sur les préceptes généraux de la chariâ islamique. D'aucuns appellent ce type d'ijtihad « l'ijtihad d'opinion »(6).

En consultant les grands ouvrages de référence qui traitent de l'ijtihad, la première chose qui retient l'attention est que l'ijtihad n'est pas limité à la seule jurisprudence islamique (le fiqh) dans le sens étroit qui lui a été attribué durant les derniers siècles. Car en arabe, le mot fiqh signifie compréhension, et donc le fiqh islamique signifie exactement l'assimilation des dispositions de la chariâ islamique. Le savant qui fait l'effort d'ijtihad s'appelle mujtahid ou faqih. Ainsi, si de façon générale, l'ijtihad est le fait de faire tout son possible pour obtenir un avis basé sur un fondement légal, et dans la jurisprudence islamique c'est l'effort d'interprétation que le mujtahid fournit en vue d'aboutir à une décision sur la base d'une preuve(7).

Le principe qui doit présider à tout travail de jurisprudence est l'assimilation profonde des dispositions générales de la chariâ et de l'esprit qui sous-tend la législation islamique dans son ensemble. Bien entendu, cet esprit ne concerne pas une seule partie mais la totalité du droit islamique(8).

Etant donné l'aspect universel, exhaustif, profond et large des dispositions de la législation islamique en ce sens qu'elles touchent les différents aspects de la vie humaine, la jurisprudence islamique, dans son essence et selon la conception islamique de l'homme, de la vie et de l'univers, est une activité liée à la vie de l'homme dans son acception la plus large. De fait, ni la chariâ ni la raison n'admettraient que la jurisprudence islamique soit cantonnée dans une partie de la législation islamique, car cela reviendrait à réduire le champ d'action du juriste musulman, sachant que la législation islamique, comme nous l'avons déjà dit, est globale, universelle, intégrée et valable pour tous les temps et tous les lieux, ainsi que tout le monde le sait.

Linguistiquement parlant, le verbe 'fakaha' en arabe signifie «saisir de façon profonde et clairvoyante les objectifs et le sens des paroles et des actions». Dans la chose religieuse, le sens du fiqh n'est guère différent de son acception linguistique, puisqu'il signifie la connaissance des dispositions légales pratiques à partir de preuves détaillées. Et pour mieux saisir les objectifs de l'ijtihad, il faudrait définir les deux parties du droit islamique.

- D'abord, les dispositions à caractère pratique de la chariâ, c'est-à-dire celles qui ne concernent pas la connaissance des dogmes liés à la foi, comme croire à Dieu Seul et Unique, croire à tous ses prophètes et envoyés chargés de transmettre le message divin, et croire au Jour dernier.

- Ensuite, la connaissance des preuves détaillées de chaque cas d'espèce donné(9).

Ainsi, le fiqh, terminologiquement parlant, désigne la connaissance acquise des dispositions de la chariâ à partir de preuves détaillées, et, par extension, l'ensemble des dispositions légales déduites à partir de preuves détaillées(10).

Or certains juristes, se penchant sur l'objet de la jurisprudence islamique, commettent l'erreur de faire la distinction entre le «spirituel» et le «temporel». Cette distinction qui n'a aucun fondement dans la chariâ authentique donne lieu à une grave confusion concernant les questions à traiter, ce qui équivaut à réduire le champ d'action de la jurisprudence islamique et de l'ijtihad et à confiner ceux-ci dans un espace très limité alors qu'ils sont censés couvrir et embrasser tous les aspects de la vie des individus et des collectivités. En d'autres termes, la jurisprudence islamique et l'ijtihad traitent la vie, avec tous les sens pleins et larges de ce mot.

Rectifier cette conception erronée nous semble être d'une importance capitale. Cela nous aidera à appréhender de façon nette et précise l'objet de l'ijtihad que nous traitons.

En définissant les termes fiqh (jurisprudence islamique) et faqih (juriste musulman), l'on réalisera mieux que l'ijtihad en matière du fiqh est ouvert à toutes les questions. De même, Il apparaîtra clairement que l'objet de l'jtihâd dans le domaine du fiqh peut être aussi divers que large et qu'il s'étend à toutes les questions, affaires, circonstances, cas d'espèce et éléments nouveaux qui touchent à la vie humaine.

Il ressort de cela que la fin essentielle de l'ijtihad, qui est l'effort de réflexion et d'interprétation visant à déduire des règles légales à partir des sources de la chariâ ou à les appliquer(11), est de préserver en tout temps les intérêts des individus et de la société. Cette finalité est au cœur de la législation islamique et elle sous-tend l'ensemble des dispositions de la chariâ. Nul n'ignore que l'islam est une religion où se reflète la miséricorde de Dieu envers ses serviteurs et la priorité par Lui accordée aux intérêts des individus et des collectivités. Toute règle ou position juridique doit ainsi prendre en considération cet objectif suprême fixé par la religion musulmane. Ainsi, le mujtahid ou juriste musulman chargé d'émettre des avis juridiques sur une affaire donnée doit être intimement convaincu de cette réalité. Car l'islam valorise les intérêts des hommes et n'y voit pas que des désirs ou des caprices. Ce qui compte le plus, c'est de voir si ces intérêts constituent un bien ou un mal pour eux(12).

Un docteur musulman contemporain résume les différentes acceptions de l'ijtihad dans l'expression arabe ijtihad istislahi, que l'on pourrait traduire en français par «prise en considération de l'intérêt général» (l'istislâh), qui procède de l'esprit de la chariâ de façon générale. La prise en compte de l'intérêt général doit être le souci majeur et la finalité suprême de tout effort de jurisprudence visant à statuer sur un cas d'espèce, surtout quand aucun élément de réponse n'est été apporté par la méthode de l'ijtihad démonstratif (albayani) et la méthode du raisonnement par analogie (qiyaas)(13).

Il est évident que l'intérêt général (al-masalih al-mursala) ou (istislah) constituent des intérêts conformes à la chariâ islamique. Ce principe est toujours pris en compte par le législateur. Conscient de cette réalité, l'ensemble des docteurs musulmans en théologie conviennent à accorder la priorité à l'intérêt des individus dans toute entreprise jurisprudentielle, à condition, bien entendu, que cet intérêt ne soit pas l'expression d'un simple désir ou caprice et ne soit pas en contradiction avec les objectifs fixés par la chariâ.(14)

En traitant de l'ijtihad, l'on s'aperçoit que ce concept couvre plus d'un sens que l'on pourrait définir par rapport à son objectif, à savoir la garantie et la protection des intérêts actuels et futurs des hommes. L'on peut déduire par conséquent que c'est un outil efficace pour résoudre les problèmes en cours à travers une démarche rationnelle, globale et foncièrement inspirée de l'esprit de la chariâ islamique.

Si l'ijtihad, tel que nous l'avons défini auparavant, implique la connaissance des dispositions de la chariâ concernant une question déterminée et exige l'observance scrupuleuse du texte coranique et de la tradition du Prophète, on pourrait dire que l'objectif de la jurisprudence islamique est l'application d'un Texte immuable à une réalité variable(15). L'ijtihad est également une innovation dans la mesure où il offre une réflexion originale pour apporter de nouvelles réponses à des situations déjà connues ou récentes. En tant que tel, l'ijtihad est synonyme d'innovation au sens profond du terme, étant donné qu'il vise surtout à faciliter la vie des gens en les dotant de moyens efficaces susceptibles de les aider à régler leurs problèmes en fonction du contexte où ceux-ci apparaissent.

A quel type d'Ijtihad aspirons-nous ?

Face à la diversité des classes et des formes de l'ijtihad telles qu'elles ont été définies par les premiers Docteurs musulmans(16), quiconque entreprend des recherches dans ce domaine ne peut que poser la question suivante : quel type d'ijtihad souhaitons-nous ? Après avoir délimité les contours principaux du cadre général à partir duquel est abordé l'ijtihad, nous pouvons à présent définir de façon claire le concept de l'ijtihad auquel nous aspirons.

L'ijtihad que nous appelons de nos vœux pour notre époque, comme le souligne Docteur Youssef Qaradawi, est de deux types : sélectif et créatif.

L'ijtihad sélectif consiste à puiser un avis juridique dans le riche patrimoine disponible en la matière en vue d'émettre une fatwa ou pour que cet avis soit retenu comme étant plus probable que les autres points de vue, suite à une confrontation de ceux-ci et une révision des preuves tirées du Texte sacré ou issues de la jurisprudence pour n'en choisir, à la fin, que l'avis le plus solide en terme d'argumentation et le plus probable eu égard aux critères de probabilité. Un avis qui prend en compte les exigences et les besoins de l'époque qui imposent au juriste contemporain de prendre en considération la réalité en veillant dans ses avis concernant les aspects de la vie secondaires et pratiques à faciliter au mieux la vie aux individus.

L'ijtihad créatif, quant à lui, est la déduction d'une nouvelle règle ou d'un nouveau précepte à propos d'une question ancienne ou nouvelle qui n'avait jamais été traitée. Mais ce type d'ijtihad porte surtout sur les questions nouvelles(17).

L'ijtihad auquel nous aspirons donc est celui que l'on pratique pour répondre aux nouvelles exigences de la vie moderne. C'est l'effort responsable qui consiste à prendre en considération la réalité sans pour autant négliger les règles générales de la chariâ islamique et ses fondements immuables.

Qu'entendons-nous par ijtihad contemporain ?

Nous venons d'avancer qu'il est primordial d'adapter l'ijtihad aux circonstances liées à la vie moderne. Pour ce faire, nous devons préciser le sens de (I'jtihad contemporain).

- S'agit-il de l'ijtihad qui s'accommode à son époque, ou de celui qui assimile l'esprit de l'époque et tient parfaitement compte de ses exigences ?

- S'agit-il de l'ijtihad qui, se pliant aux exigences de l'époque, en vient à reconsidérer le Texte immuable pour l'appliquer coûte que coûte à la réalité variable pour la bonne et simple raison que celle-ci est variable ?

- S'agit-il de l'entreprise qui consiste à appliquer les dispositions du Texte à la réalité, à la lumière des préceptes de la chariâ islamique ?

Il ne fait aucun doute que les hommes ne doivent pas s'aligner servilement sur leur époque. En effet, la dichotomie entre le bien et le mal, inhérente à l'homme, a toujours existé, donnant lieu à de bonnes ou mauvaises conduites, à des comportements approuvés ou réprouvés, à un code moral jugé à l'aune de l'islam authentique, essentiellement inspiré du Coran et de la Tradition authentique. Force pour nous est de souligner que l'ijtihad moderne auquel nous aspirons n'est pas celui qui cherche à tout prix à se conformer à son époque, car cela va à l'encontre de notre religion. Nous entendons plutôt par ijtihad moderne celui qui se veut un porte-parole des intérêts de la communauté des musulmans et qui veille à la préservation scrupuleuse de ces intérêts, qui ne s'en éloigne jamais sous aucun prétexte et qui répond aux besoins des gens en leur balisant la voie vers une vie saine, stable et digne.

Docteur Youssef Qaradawi dit, dans le même ordre d'idées : «on doit prendre garde à ne pas fléchir sous le poids de la réalité de notre époque d'autant plus qu'elle a fait intrusion dans nos sociétés et n'a rien à voir avec notre religion, notre chariâ et notre éthique. Elle n'est pas non plus le fait des musulmans. Cette réalité leur a été imposée, s'est installée à leur insu, favorisée par le déclin de leur civilisation, leur faiblesse et leur division et par la montée en puissance des colonisateurs. Cette situation dégradante persista très longtemps et passa d'une génération à l'autre, à tel point que les musulmans furent inaptes à la changer. Il ressort de cela que l'ijtihad n'a pas pour objectif de justifier cette nouvelle réalité, ni de lui conférer la légitimité par le recours abusif aux textes sacrés, et encore moins de produire des fatwas servant cette réalité»(18).

Certes, loin de nous l'idée d'affirmer que cette époque est totalement corrompue et que le fait de vouloir s'y adapter est une chose condamnable. Mais notre religion et le bon sens nous exhortent à nous servir de la raison pour chercher l'intérêt général et ce, pour que nous puissions assimiler notre époque, comprendre les problèmes et les questions qui y font jour et prendre conscience de ses exigences. Seule cette démarche nous permettra de nous pencher sur ce nouveau contexte pour le soumettre à l'analyse avec un esprit ouvert et perspicace.

De ce qui précède, nous dirons que ce à quoi nous aspirons en matière d'ijtihad est une nouvelle approche jurisprudentielle qui nous servira de base pour interpréter les données actuelles de la société afin de mieux les comprendre et apporter des solutions aux problèmes contemporains. Pour autant, cette démarche ne doit pas aller à l'encontre -ni de près ni de loin- de l'esprit de la chariâ islamique et des nobles intentions du Législateur.

De fait, l'ijtihad qui consiste à projeter les dispositions de la chariâ sur la réalité variable de l'époque implique toutes les composantes de la oumma sans restriction aucune, puisque tout le monde est concerné par ces dispositions. Ce type d'ijtihad est celui qui permet de prouver, sur la base d'indices et de critères, que la règle générale peut s'appliquer à un fait ou à une circonstance secondaire, autrement dit l'application du total au partiel(19).

L'ijtihad, mot générique, désigne l'autorisation accordée par l'islam aux juristes compétents afin qu'ils participent au travail de législation et d'interprétation du discours coranique. Cet aspect de la chariâ islamique fait de celle-ci une législation ouverte à toute évolution et adaptée aux intérêts des individus et des sociétés, s'accommodant de tous les temps et de tous les lieux(20). L'ijtihad moderne ou l'ijtihad qui va de pair avec les changements de l'époque est celui qui sert l'intérêt général de la oumma, préserve son équilibre et sa stabilité et renforce son attachement aux préceptes de la chariâ islamique et son observance de ses dispositions, lui évitant ainsi de s'égarer, de se perdre dans le labyrinthe des lois positives, souvent injustes, et qui plus est, s'avèrent contraires aux objectifs de la chariâ à bien plusieurs égards.

Mais l'ijtihad moderne ne peut être efficace, utile et agissant sur la vie de la société islamique que s'il est pratiqué dans le respect des visées générales de la chariâ islamique et s'il repose sur la conviction que cette chariâ est valable en tout temps et en tout lieux. Autrement, il s'écartera complètement de l'esprit de l'islam et perdra par conséquent toute légitimité.

Les domaines de l'ijtihad sont multiples à l'image de la diversité de la vie :

A la lumière de ce concept, il apparaît que l'ijtihad porte sur des domaines aussi divers que variés. Il est ainsi ouvert à toutes les questions et tous les problèmes qui affectent la vie des musulmans. Bref, tout ce qui préoccupe l'homme de près ou de loin est matière à ijtihad, conformément aux règles évoquées auparavant.

Réduire l'ijtihad à un nombre limité de sujets, à des domaines au détriment d'autres revient à agir contre la chariâ islamique puisque la religion musulmane, de par son caractère universel et humain, intervient spécialement pour régler la vie des hommes, quelles que soient leurs circonstances.

Etant donné que l'ijtihad entreprend de concilier le Texte incontestable avec les exigences de l'époque et des espaces géographiques soumis à la chariâ islamique, son objectif réside dans la prise en compte des intérêts des hommes de façon générale, intérêts que l'on pourrait résumer dans cinq impératifs : préserver la religion, la vie, la raison, la procréation et les biens. De fait, ce sont là des éléments essentiels qui, comme le relève Chatibi, entrent en ligne de compte dans toute confession(21).

Dans tous les cas, la fonction principale de l'ijtihad, en tant que facteur de renouvellement et de redressement de nos sociétés, est de faciliter la vie des individus et veiller à préserver leurs intérêts. Cet objectif s'accorde parfaitement avec l'essence de la chariâ islamique, comme l'affirme si clairement Ibn Alqayim : «La chariâ repose sur la justice, la miséricorde, la sagesse et vise essentiellement à protéger les intérêts des hommes de leur vivant et même après la mort. Toute décision qui transgresse ces principes va à l'encontre de la chariâ, celle-ci étant le reflet de la justice divine, de la miséricorde accordée par Dieu à Ses serviteurs, Sa Sagesse et Son Omniprésence. Elle est aussi la preuve la plus éloquente et la plus sincère de la véracité des propos du prophète Mohammad (prière et salut sur lui)(22).

Nous pouvons donc, à la lumière de ce qu'a dit Ibn Alqayim, affirmer que tout ijtihad qui, d'une part, favorise la justice, la miséricorde et la préservation des intérêts et, d'autre part, lutte contre l'injustice, la cruauté et la corruption, est un ijtihad qui répond aux visées de la religion authentique. Ainsi, toute question qui se pose à la société islamique doit être traitée en priorité et doit faire l'objet de l'ijtihad à condition que cela soit conforme aux intentions de la chariâ.

Les problèmes dont souffre la société musulmane moderne sont nombreux et imbriqués. Ils sont dûs à la situation économique, sociale et politique actuelle. Ils nécessitent, de ce fait, le recours aux dispositions de la chariâ et appellent un jugement perspicace issu d'une compréhension juste des intentions de la chariâ, et d'une conscience clairvoyante à l'égard des questions liées de l'époque.

Face à une telle situation, l'ijtihad, de nos jours, n'est pas un simple besoin. Il est bien au contraire un impératif pour la société islamique qui veut vivre à la lumière de la religion musulmane. De plus, et à l'heure qu'il est, l'ijtihad n'est plus une alternative que l'on peut choisir ou ignorer, mais une obligation qui s'impose à tous les musulmans, au même titre que les autres obligations qui constituent le fondement de la vie et de la religion. Ainsi, quand une personne se charge d'entreprendre l'effort de réflexion pour combler les lacunes, il en épargne l'ensemble de la oumma. Par contre, s'il n'assume pas cette responsabilité avec application et rigueur, c'est toute la communauté musulmane qui est dans le tort(23).

L'ijtihad s'étend à toutes les questions au sujet desquelles aucune règle n'existe dans le Coran ou dans la Sunna du prophète. Il englobe aussi les textes dont l'authenticité n'a pas été établie ou dont les preuves sont insuffisantes(24).

L'ijtihad, comme nous l'avons déjà dit, doit reposer sur les règles universelles de la chariâ islamique et s'en inspirer. Nous avons aussi souligné le fait que son objet est diversifié. Il ne se limite pas au domaine religieux au sens étroit ni au domaine juridique, mais peut porter sur toutes les questions à caractère politique, administratif, économique, social, scientifique, médical, environnemental, éducationnel... Bref, tout ce qui préoccupe la société musulmane dans le présent et dans l'avenir est matière à ijtihad.

La oumma islamique fait face aujourd'hui à un ensemble de problèmes et à de grands défis dans tous les secteurs de la vie. Afin de surmonter ces obstacles et de relever ces défis, rien de tel qu'une vision perspicace et un savoir rigoureux inspirés d'une compréhension judicieuse des textes, ainsi qu'un travail d'ijtihad éclairé, à même de permettre à la oumma de se soustraire à la faiblesse et au sous-développement et retrouver toute sa vigueur et sa prospérité. Or c'est là une entreprise qui ne saurait réussir que si l'ijtihad veille à la préservation de l'intérêt général de la communauté musulmane et qu'il soit conforme aux visées de la chariâ islamique, laquelle cherche avant tout à faciliter la vie aux personnes et à leur éviter les difficultés. Dieu Dit à ce propos : (Il ne vous a rien commandé de pénible dans votre religion)(25). Autant dire que cette religion est valable pour toutes les époques et dans toutes les contrées.

L'importance de l'ijtihad aujourd'hui

Notre besoin de l'ijtihad est impérieux, car sans ce travail, on assisterait au fil des époques à une multiplication des opinions personnelles, à un foisonnement des interprétations et à une prolifération des lois et des coutumes dont l'ambition est de faire autorité au détriment de la chariâ. L'ijtihad, par conséquent, s'érigera en barrière contre les déviations de certains juristes, indignes de ce nom, qui émettent des avis abusifs dont l'ampleur est telle qu'ils nuisent parfois aux gens non avertis et les induisent en erreur. D'où l'importance de respecter les conditions fixées par les oulémas au sujet de l'ijtihad et de la compétence du mujtahid(26).

Bien que l'ijtihad ait compté de grandes figures à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième siècle dans nombre de pays arabes et musulmans, certains d'entre eux furent vivement critiqués non seulement par les conservateurs mais également par les partisans de l'jtihad qui reprochaient souvent aux oulémas musulmans de ne pas le pratiquer. Prenons par exemple le penseur Mohamed Abdo, qui fut à l'avant-garde des intellectuels ayant appelé au renouveau de la pensée arabe. Lui non plus n'a pas été épargné par les critiques qui poussaient leurs reproches au point de frapper de discrédit toute son œuvre. Le plus étonnant dans cette attaque contre Mohamed Abdo est qu'elle ait émané du penseur et écrivain Taha Hussein, considéré pourtant comme le porte-étendard du courant innovateur dans le monde arabe, alors qu'aucun des autres critiques ne se réclamait de cette école.

Dr Taha Hussein dit dans un article publié dans une revue française à Paris en 1934: «il ne fait pas de doute que Mohamed Abdo a bouleversé le monde musulman en entier. Il a réveillé l'esprit oriental et a inculqué aux orientaux l'amour de la liberté de penser. Mais, les idées de Mohamed Abdo ne sont plus valables de nos jours, et le discours qu'il emprunte pour marquer ce renouveau paraît désuet et manque d'audace. Il ne suffit plus de penser et de discourir, mais il faut agir (?). Il s'ensuit que les positions de Mohamad Abdo sur des sujets comme la connaissance et la religion sont dépassées et ne sont plus adaptées à l'élan pris par les orientaux vers l'idéal de liberté».

Et d'ajouter : «peu de musulmans s'attèlent à concilier leur foi avec les connaissances qu'ils ont acquises. Au contraire, ils manifestent beaucoup d'engouement à la civilisation occidentale qu'ils considèrent comme un idéal à suivre»(27).

La première remarque qu'appelle ce texte, qui était méconnu dans le monde arabe jusqu'à sa traduction en arabe(28), est que Dr Taha Hussein n'a jamais utilisé le mot (modernisation) ou (modernité), alors que le contexte l'imposait et avec le sens que nous lui prêtons aujourd'hui. Par sa critique virulente contre Mohamed Abdo, Taha Hussein a exclu du cercle des innovateurs ce dernier et a condamné le courant de pensée dont il se réclame. Cette attitude mérite qu'on l'analyse afin de comprendre comment l'ijtihad, même lorsqu'il il atteint un degré d'audace et de courage intellectuel élevé, n'est pas favorablement reçu même par les penseurs arabes obnubilés inversement par l'occident, car le fait de puiser dans la pensée occidentale dans les limites du raisonnable n'est pas une mauvaise chose en soi.

Tout au long du vingtième siècle, l'ijtihad a été pratiqué dans tous les pays arabes et musulmans. En Arabie saoudite, par exemple, le penseur Amine Madani écrit un remarquable article qu'il a publié il y a vingt-sept ans et où il avance des idées novatrices et dignes d'intérêt : «la législation islamique n'a jamais fait obstacle à l'évolution et au progrès tout au long de son histoire. Elle a été, au contraire, à l'écoute de chaque époque, s'accommodant de ses besoins et de sa réalité. Ainsi, la législation islamique depuis la période des conquêtes musulmanes a entrepris de réglementer la vie des hommes en fonction du bien de la société, et les législateurs de chaque génération optent pour La voie aisée et ne manquent pas de résoudre les problèmes qu'il est possible de régler. Il appartient donc aux législateurs de jouer leur rôle en apportant des réponses aux questions nouvelles qui ne se sont pas posées à leurs prédécesseurs(29).

Le penseur Amine Madani adopte une position intellectuelle courageuse dans sa définition de l'ijtihad innovant quand il écrit : «le fait d'opposer à tout fait nouveau une attitude négative, catégorique et rigide ouvre au contraire la voie à cette nouvelle tendance et lui permet de se répandre d'autant que le désir d'évolution procède de la nature même de l'homme. Ainsi, si on ne prépare pas les esprits à accepter les choses nouvelles avec beaucoup de réalisme, de sagesse et de souplesse, les masses vont sortir de leur attitude passive et accueillir toute nouveauté à bras ouverts avec ses avantages et ses inconvénients, pour la simple raison que c'est un élément indispensable à toute évolution(30).

Si le cri lancé par ce penseur n'a pas eu un écho favorable auprès du public, au moins il a eu le mérite d'exprimer tout haut ce que d'autres penseurs pensent tout bas, tous partisans du renouveau de la pensée dans les autres pays arabo-islamiques.

Ces idées, que l'on pourrait qualifier, si l'on veut emprunter les expressions répandues de nos jours, de (libérales), (progressistes), ou de (modernistes), traduisent un mode de pensée réformiste qui prévalait dans les pays arabo-islamiques et représentent en même temps une école novatrice en matière d'ijithad qui, si elle avait rencontré un climat favorable, aurait eu des retombées intellectuelles considérables.

En citant ces paragraphes du livre d'Amine Madani, je voudrais apporter la preuve que la pensée arabo-islamique, avec ses différents courants, a très tôt préconisé l'ijtihad, le renouveau et la nécessité d'être en phase avec l'époque, et que des penseurs, des oulémas, des juristes musulmans et des théoriciens se sont livrés à l'ijtihad sous ses multiples facettes et sont parvenus à des résultats qui ont été fort mal accueillies, violemment critiqués, voire déformés.

La porte de l'ijtihad n'est pas fermée

L'ijtihad constitue une des sources de la législation islamique. Jamais, à aucune époque, l'histoire ne nous a rapporté qu'un ouléma, docteur en fiqh, ou chef d'Etat a émis une fatwa, une loi ou un ordre de fermer la porte de l'ijtihad. L'expression même «fermer la porte de l'ijtihad » répandue dans le monde arabo-islamique n'est qu'une métaphore. C'est plutôt la pensée arabe qui s'est figée sur ses positions au lieu de suivre le cours de l'histoire. Le résultat de cette attitude est un état de léthargie, de régression et de sous-développement. Les facteurs de cette situation sont multiples et ne sont plus un mystère pour personne.

L'ijtihad vit une crise due à une stagnation intellectuelle dont les effets se sont répercutés sur tous les domaines. On assiste par conséquent à une régression de la création en matière d'ijtihad. Cela s'est traduit par un déséquilibre significatif entre fiqh al-mouâmalaat (jurisprudence en matière temporelle) et fiqh al-îbaadat (jurisprudence en matière spirituelle). Autant le fiqh al-îbaadat est riche, autant le fiqh al-mouâmalaat est incroyablement pauvre. Aussi, la première mission actuelle de l'ijtihad doit-elle surtout porter sur la nouvelle réalité politique, économique et sociale et faire en sorte que la chariâ continue à rayonner dans le monde musulman(31).

Ouverture et globalité de la législation islamique

La législation islamique englobe, en plus des dispositions régissant la relation de l'homme avec Dieu son créateur, tout ce qui concerne le droit avec ses deux grands volets : le droit privé et le droit public. Ainsi, on y trouve le droit civil qui est la source du droit privé, avec ses différentes sections, le droit commercial, le droit processuel, le droit international privé, le droit international public, le droit constitutionnel, le droit administratif et le droit financier qui lui est attaché et enfin le droit pénal(32).

La législation islamique ouvre la voie aux juristes pour qu'ils explorent de nouveaux horizons et donne aux oulémas, qui remplissent les conditions de l'ijtihad, la possibilité de chercher des solutions aux problèmes qui se posent dans les différents domaines. Cette législation couvre les différents aspects de la vie et englobe les différentes branches du droit.

Ainsi, l'ijtihad est un devoir religieux et une nécessité de la vie. L'ouléma Mohamed Taher Ibn Achour le définit en ces termes : «l'ijtihad est un devoir qui s'impose à toute la oumma en fonction du besoin et de la réalité de chaque pays. La oumma a commis un péché en le négligeant en dépit des moyens et des possibilités dont elle dispose»(33).

Et d'ajouter : «la nécessité de pratiquer l'ijtihad s'explique par les changements qui adviennent avec leur cortège de questions et de cas qui se font jour et qui ne se sont jamais posés aux premiers docteurs musulmans. L'ijtihad est d'autant plus urgent de nos jours que l'on a besoin de nous unifier au lieu de nous disperser dans différentes écoles religieuses (madahib). Et dans tous les cas, l'ijtihad doit mettre en exergue les objectifs visés par le législateur, et l'on doit aussi vérifier ce qui doit être respecté à la lettre dans les conclusions des juristes et ce qui est modifiable et perfectionnable»(34).

Ainsi nous aurons traité amplement l'ijithad sous tous les angles, selon ce que le permet l'objet du présent papier. Qu'en est-il maintenant des termes modernisme et modernité ?

Concept de modernisme et modernité

L'ijtihad mène-t-il au modernisme ? Pour répondre à cette question, nous devons d'abord définir les termes. Nous commencerons par rappeler que la modernité a donné lieu à des écoles et à des conceptions variées et qu'elle ne se prête pas à une seule et unique signification.

La première chose que nous pourrons avancer dans ce contexte est que la modernité est une idée purement occidentale. Pour les défenseurs de la modernité, la foi en la science se substitue à la foi en Dieu, et les croyances religieuses sont écartées de la vie privée de l'individu(35).

L'encyclopédie Universalis définit la modernité comme étant «ni un concept sociologique, ni un concept politique, ni proprement un concept historique. C'est un mode de civilisation caractéristique, qui s'oppose au mode de la tradition, (…)Mouvante dans ses formes, dans ses contenus, dans le temps et dans l'espace, elle n'est stable et irréversible que comme système de valeurs, comme mythe - et, dans cette acception, il faudrait l'écrire avec une majuscule : la Modernité. En cela, elle ressemble à la Tradition»(36).

Il n'y a donc par une définition précise et claire de la modernité. Elle signe, de façon générale, ainsi que le précisent les penseurs occidentaux eux-mêmes, une rupture avec le passé et avec le patrimoine culturel dans son intégralité. Dans le domaine artistique et philosophique, la modernité est la rupture que l'on opère avec le passé à la recherche de nouvelles formes d'expression. En théologie, la modernité est une doctrine visant à adapter les préceptes religieux traditionnels à la pensée moderne en les débarrassant de leurs dimensions métaphysiques(37).

La modernité n'est pas la simple utilisation de la raison, de la science et de la technologie, mais l'utilisation de ces éléments dépourvus de leur valeur, ou comme on dit en anglais «value-free». C'est là une dimension importante de la modernité occidentale. Or, le scientifique qui fait abstraction de la valeur est un scientifique détaché de l'homme. Pour lui, tout n'est que matière, y compris l'homme qu'il soumet à son tour aux lois de la nature. Conformément à cette théorie, tout est relatif à tel point que l'on a du mal à distinguer le mal du bien, la justice de l'injustice, l'absolu du relatif, l'homme de la matière. En l'absence de valeurs absolues qui nous servent de référence, l'individu ou le groupe ethnique deviennent une référence en soi, et par conséquent ne voient le bien et le mal que dans ce qui est utile ou inutile pour eux. C'est ainsi que la modernité occidentale contemporaine a fait de l'homme le centre de l'univers(38).

Selon Emile Paulat, un des grands chercheur français contemporains en sociologie religieuse : «la philosophie des lumières, qui constitue la base de la modernité occidentale, a opéré une grande rupture épistémologique avec le patrimoine religieux chrétien». Continuant dans le même sens, il ajoute : «cette idéologie -la philosophie des lumières - est comme une mère, c'est à dire que tout ce qui en découle est le fruit de ses interactions et ses contradictions, sans pour autant que cela affecte la grande rupture épistémologique qui fait la distinction entre deux ères dans l'histoire religieuse de l'homme : l'ère scolastique théologique du saint Thomas D'Aquin et l'ère de lla philosophie des lumières. Désormais, l'espoir dans le royaume de Dieu se dissipe pour céder la place au développement de l'ère et de l'hégémonie de la raison… C'est ainsi que l'ordre de la manne divine a commencé à s'éclipser e devant l'ordre de la nature(39).

Ainsi donc, la modernité n'est pas toujours un terme neutre, d'où la nécessité pour nous d'examiner la question sous ses différents angles. Il ne faut pas non plus prendre la modernité telle qu'elle se présente, car ce serait perdre la raison que Dieu nous a donné pour éclairer nos chemins.

Entendons-nous par modernisme, dans ce contexte, la modernité dans sa conception occidentale ? Et cette modernité a-t-elle une relation avec l'ijtihad en islam aujourd'hui ?

J'ai longtemps hésité à poser ces deux questions. Mais après avoir bien réfléchi, j'ai estimé qu'il était impératif de les soulever et ce, afin de tirer au clair le sens de ces deux termes et pour donner au sujet l'importance qu'il mérite.

Je ne doute pas que le «modernisme» signifie la modernisation de la vie et se base sur un système moderne qui organise la vie des sociétés dans l'Etat moderne et qui gère et facilite le fonctionnement de ce dernier conformément à des normes précises et des critères définis et stables, dont le respect mène les hommes au progrès, à la dignité, à la paix et à la prospérité.

Or ce sont là les mêmes visées de la chariâ islamique et que l'jtihad moderne cherche à réaliser. En effet, l'ijtihad, dans l'optique islamique, est le fait de redonner la vie et d'injecter un nouveau sang dans la société islamique. Mais l'ijtihad ne doit, sous aucun prétexte, se départir des règles de la religion ni céder à une quelconque pression.

Toutefois, il serait insensé d'emprunter la modernité occidentale et de la transposer telle quelle, avec ses dimensions négatives, sur la société islamique. Il serait plutôt sage de n'en retenir que ce qui est bon et adapté à nos spécificités.

En conséquence, le but de l'ijtihad moderne n'est pas que l'on soit adepte du modernisme ou moderniste selon l’acception occidentale, mais que l'on s'adapte à notre époque et qu'on tire profit de ses côtés positifs tout en respectant nos spécificités religieuses et culturelles.

Nos sociétés ont constamment besoin d’ijtihad et de modernisme, mais il existe des domaines prioritaires où l'ijtihad s'impose avec acuité, en l'occurrence le domaine religieux, politique, économique, technique, scientifique, culturel, civilisationnel …etc, dans lesquels plusieurs questions se font jour et appellent des réponses urgentes. D'où la nécessité impérieuse d'œuvrer pour que l'effort de l'ijtihad se poursuive et s'opère dans le cadre d'une vision perspicace et clairvoyante qui adapte les visées de la chariâ aux intérêts de l'homme.


(1) Dr Jorjos Jaras, Dictionnaire des termes juridiques, révisé par le juge Antoine Nachef, p. 20, société mondiale du livre, première édition, Beyrouth, 1996.

(2) Attahanwi, «kachaf istilahaat al-founoun», 1/198.

(3) Al-Ihkaam, d'Ibn Hazm, 133/8, p. 347.

(4) L'encyclopédie islamique générale, p. 45, Conseil supérieur des Affaires islamiques, le Caire,

(5) Ibid, p. 46.

(6) Ibid, p. 46.

(7) Ali Ibn Mohamed Charif Jorjani : «Kitaab attaârifat» (Livre des définitions), p. 9, librairie du Liban, Beyrouth, 1990.

(8) Abdel Wahab Khilaf : «Ïlm usul al-fiqh» (science des fondements de la jurisprudence), p. 220, Dar al-Qalam, vingtième édition, Koweït, 1986.

(9) Mohamed Abu Zahra, «Usul al-fiqh» (fondements de la jurisprudence), p. 6, Dar al-fiqh al-arabi, n'est pas daté.

(10) Abdel Wahab Khilaf, Ïlm usul al-fiqh, p. 11.

(11) Mohamed Abu Zahra, Usul al-fiqh, p. 379.

(12) Idem. p. 387.

(13) Dr Mohamed Maârouf Dawalibi, «Madkhal ila îlm usul al-fiqh» (introduction à la science des fondements de la jurisprudence), p. 407, imprimerie de l'université de Damas, 1963.

(14) Mohamed Abu Zahra, «Usul al fiqh», p. 283.

(15) Tariq al-Bichri, «attajdid al-islami bayna qarnine madaa wa qarnin yaji'», (le renouveau islam- ique entre un siècle passé et un siècle nouveau), revue (al-Manaar al-Jadid), numéro 1, hiver 1998, p. 24, le Caire.

(16) Mentionnées dans (l'encyclopédie des termes du usul al fiqh chez les musulmans), Dr Rafiq Al-âjam (deux volumes, librairie lobnane nachiroun, première édition, Beyrouth, 1998) : cinquante-huit (58) titres d'ouvrages traitant le terme «ijtihâd», avec des citations précises des définitions figurant dans ces ouvrages du terme «ijtihad». A lire pour plus de détails.

(17) Dr Youssef Qaradawi, « al-ijtihad al-moâsir bayna al-indibat wa al-infiraat”, pp. 20-32-34, Dar attawziâ wa an-nachr al-islamiya, le Caire, 1994. L'auteur a un autre ouvrage intitulé «al-ijtihâd fi achariâ al-islamiya maâ nadharat tahliliya fi al-ijtihad al-moâsir» publié à Dar al-Qalam pour l'édition et la distribution, première édition, Koweït, 1985, et deuxième édition, 1989. Les deux ouvrages contiennent des chapitres semblables qui se répètent pour donner une grande richesse scientifique.

(18) Idem, pp. 94-95.

(19) Allal al-Fassi, «Maqaasid achariâ al-islamiya wa makaarimoha», p. 166, cinquième édition, Dar al-gharb al-islami, Beyrouth, 1993.

(20) Idem, p. 168.

(21) Ach-chatibi, «al-Mowafaqaat», tome 2, p. 10.

(22) Ibn Qayim al-Jjawziya, «Iâlam al-muaqiîne âan rabbi al-âlamine», tome 3, p. 1, Dar al-fikr, première édition, Beyrouth, 1955.

(23) Dr Youssef Qaradawi, «al-ijtihad al-moâsir bayna al-indibat wa al-infirat», p. 19.

(24) Dr Mohamed Farouq Annabhane, «al-fiqr al-islami wa attajdid», pp. 12-13.

(25) Sourate Al haj, verset 78.

(26) Dr Mohamed Farouq Annabhane, «al-fiqr al-islami wa attajdid», p. 47.

(27) Taha Hussein, article intitulé «la grande figure de Cheikh Mohamed Abdo», revue «Un Effort», Paris, n° 44, juin 1934.

(28) Abdel Rachid Sadek Mahmoudi, «de l'autre rive : Taha Hussein dans un ouvrage inédit», éditions Edver, Paris, Société des publications pour la distribution et l'édition, Beyrouth, 1990.

(29) Amine Madani, «les cités de la culture islamique», pp. 45-46, Instance, publique égyptienne du Livre, le Caire, 1980.

(30) Idem, p. 69.

(31) Dr Mohamed Amara, «la bataille terminologique entre l'occident et l'islam», p. 166, Nahdat Misr, 1996, le Caire.

(32) Dr Mohamed Youssef Moussa, «al-fiqh al-islami : Madkhal lidirasatihi wa nidham al-mouâmalat fihi», pp. 103-115, deuxième édition, tiré de son livre «l'islam et la vie», p. 114, al-âsr al-hadith pour l'édition et la distribution, 1991, le Caire.

(33) Commentant ce paragraphe tiré de son livre «les objectifs de la chariâ islamique», Cheikh Mohamed Taher Ibn Achour écrit : «les savants, le grand public, les émirs et califes commettent un péché quand les premiers s'abstiennent de l'ijtihad et ne rendent pas publics leurs travaux, quand les seconds s'y désintéressent complètement et quand les troisièmes n'encouragent pas les personnes qualifiées à pratiquer l'ijtihâd».

(34) Mohamad Taher Ibn Achour, «Maqaasid achariâ al-islamiya» (objectifs de la chariâ islamique), p. 395, tome 3, révisé et authentifié par Dr Mohamed Habib Belkhouja, éditions du ministère du Waqf et des Affaires islamiques qatari, 2004.

(35) Alain Tourraine, «critique de la modernité», Ed. Gallimard, Paris, 1992, à partir de la traduction arabe publiée par les éditions du projet national de traduction, le Caire.

(36) Jean Baudrillard, Encyclopaedia Universalis, Tome 2, édition 1980, Paris.

(37) Dictionnaire Webster, p. 793, édition 1991, USA, Massachusetts.

(38) Dr Abdel Wahab Al-massiri, revue «points de vue», numéro 89, p. 6, le Caire, juin 2006.

(39) Emile Paulat, «liberté, laïcisation : guerre des deux tranches de la France et principe de modernité», éditions du Cerf, Paris, 1987, rapporté par Hachem Saleh, revue «al-wahda» (l'unité), Rabat, numéro de février-mars 1993, pp. 20-21.


Source: www.isesco.org.ma

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